Première leçon (suite)

Pendant ce temps, Kenka avait engagé le combat contre les trois hommes qui s'étaient présentés à lui. Les deux mercenaires n'étaient pas particulièrement agiles, il ne lui était pas difficile de les feinter en dépit de leur force colossale : lorsque l'un deux, celui qui semblait être le plus vieux, manquant Kenka, abattit sa hache sur un rocher, il le fendit en deux, comme si la pierre n'avait été guère plus solide qu'une coquille d'oeuf. Le jônin sourit.

"T'es un costaud, toi, hein ?" lui lança-t-il d'une voix moqueuse, voyant la rage déformer les traits de l'autre homme, qui ne lui répondit que par un grognement agressif.

Au même instant, son semblable fit siffler l'air de ses sabres, mais là encore Kenka n'eut aucune peine à éviter ses attaques : elles étaient trop lentes pour le ninja qu'il était. Celui qui aurait eu une chance de l'atteindre, c'était le troisième, celui qui ne prenait pas part au combat et se contentait d'observer les évènements de loin, bien droit sur une pierre, les mains dans le dos ; d'après la façon dont il s'était déplacé, quelques instants plus tôt, Kenka pouvait pourtant dire que sa vitesse n'avait rien à envier à la sienne. Il paraissait très calme, complètement détaché de la situation. Ses yeux suivaient chacun des mouvements de Kenka, et ce regard scrutateur énerva bien vite le jônin : il avait trop l'impression d'être analysé. C'est en partie pour cela qu'il décida de mettre un terme à la danse ridicule des deux autres gus - ça et parce qu'ils commençaient à l'ennuyer. Trop rapide pour que ses adversaires du moment puissent prédire ses mouvements, il plongea sa main dans la sacoche attachée à sa cuisse droite, en sortit deux kunaï - un pour chaque - et, sur eux d'un simple bond, il se servit de ses armes pour leur ouvrir la gorge. Dans une gerbe de sang, les deux corps s'affaissèrent lourdement, soulevant un voile de poussière lorsqu'ils heurtèrent le sol. Ses kunaï ensanglantés encore aux poings, Kenka se tourna alors vers celui n'avait pas bougé d'un pouce.

"T'as rien fait pour tes compagnons, constata-t-il sans que son ton trahisse un quelconque mépris pour cette attitude.
- Compagnons ? répéta l'autre en plissant tout juste les yeux, Ces déchets étaient trop faibles pour mériter une telle appelation. Je me demande encore ce qu'ils faisaient là...
- Oh, donc j'dois en déduire que toi, t'es plus fort qu'eux ?
- Évidemment."

Les lèvres de Kenka s'étirèrent pour orner son visage d'un rictus caractérisque, une sorte de sourire bestial qu'il ne réservait qu'aux bons combats.

"Alors montre-moi."

Kenka fut soudain projeté dans les airs, et se serait certainement écrasé contre un rocher s'il n'avait réussi à rétablir à temps sa position ; à peine ses getas avaient-elles touché la pierre qu'il s'éloigna d'un bond, sans quitter des yeux son nouvel adversaire, dont les bras reposaient désormais contre ses flancs. A cet instant, un hurlement leur parvint : se permettant un bref coup d'oeil, plus par réflexe que réelle curiosité, Kenka aperçut l'un des ninja ennemis dont l'abdomen disparaissait presque complètement dans la gueule de Hibachi ; de là où il se tenait il ne pouvait pas les entendre, mais le jônin connaissait bien les terribles bruits d'os broyé qui devaient accompagner les dernières souffrances de cet homme.
Un mouvement sur sa gauche. Kenka leva à temps le bras pour parer le coup de pied que lui destinait son adversaire, mais sans qu'il réalise d'abord comment, alors qu'il l'avait bloqué, il fut à nouveau projeté en arrière, et n'évita que difficilement une chute violente cette fois-ci. Relevant la tête, aussi rageur que le mercenaire qui maniait sa hache contre lui un peu plus tôt, il vit l'autre reposer calmement son pied sur le sol.

"Je m'excuse de ne m'être pas présenté plus tôt, dit-il d'une voix légère, Tout homme devrait connaître à l'avance le nom de celui qui lui ôtera la vie.
- Te fous pas d'ma gueule, grogna Kenka, T'utilises une sorte de technique fûton, et alors ?!
- Je m'appelle Shichikoeda, de la famille Kawara, reprit-il en ignorant l'intervention du jônin, T'en souviendras-tu avant de mourir?
- Désolé, j'ai jamais été doué pour retenir des trucs inutiles ! s'écria Kenka en joignant les mains, Daitoppa no jutsu !"

Aussitôt, le même vent violent dont le clone s'était servi contre Yume s'échappa de ses lèvres et tourbillonna à une vitesse folle, jusqu'à se heurter au dénommé Shichikoeda. Ce dernier recula sensiblement, les jambes fléchies et la tête légèrement inclinée en avant. Sa cape semblait s'être détachée d'elle-même, et l'on pouvait maintenant voir que cet homme portait des vêtements noirs et amples aux coutures blanches, et que le tissu des manches et des jambes de pantalon claquaient furieusement autour de lui. Là où la daitoppa de Kenka était repoussée, le sable était projeté de tous les côtés, comme soumis à des courants contraires. Le souffle du jônin de Suna s'amenuisit, jusqu'à ce qu'il fasse cesser la technique.

"C'est du vent que tu crées directement autour de toi, c'est ça ? demanda-t-il, Et sans avoir à former ces putain de signes ?
- C'est exact, lui répondit Shichikoeda, Nous appelons cela "l'ultime barrière du corps", qui protège bien plus sûrement nos membres que la plus solide armure qui existe. Quant à toi, ta technique n'est pas mauvaise, mais elle manque considérablement de puissance pour que tu puisses te permettre d'espérer percer ma défense.
- Tu vas voir si j'manque de puissance, connard !"

Kenka forma d'autres signes et abattit ses mains, paumes tendues, contre le sol, qui se mit à trembler bien plus violemment qu'avec le clone. Une profonde crevasse commença à se former tout autour de Shichikoeda, mais celui-ci se retrouva, d'un saut assez impressionnant, même pour un ninja, hors de portée. Kenka lâcha un "tsssch!" contrarié lorsqu'il le vit atterrir hors de sa portée, sur un rocher plus élevé que les autres.

"C'était ridicule," soupira le Kawara en secouant doucement sa tête, faisant ainsi onduler sa pauvre queue de cheval.

Ses yeux semblèrent soudain se poser sur un point, derrière la première barrière de rochers. Kenka suivit son regard, mais il était mal placé pour apercevoir la même chose son adversaire, dont un fin sourire fendit le visage comme un couteau. Sans crier gare, Shichikoeda exécuta un long saut, se propulsant à l'aide du vent qu'il générait. Avant même d'être de nouveau sur la terre, il balaya d'un revers de la main ce qui se trouvait en-dessous de lui. Les yeux de Kenka s'équarquillèrent en reconnaissant la voix de Jiu lorsque celui-ci poussa un cri. Lui et Yume furent mis à couvert et rebondirent plusieurs fois sur le sol inégal, ballottés dans une espèce de tornade contre laquelle ils ne pouvaient résister, avant que le Kawara ne les laisse s'immobiliser.

Jiu se redressa, prenant appui sur ses coudes. Cette brusque attaque sortie de nulle part l'avait un peu sonné, mais il parvint néammoins à se relever, Yumi toujours accrochée à ses épaules. Il se précipita sur son équipière : ses haillons s'étaient davantage déchirés, sa peau était parcourue de larges zébrures ensanglantées - Jiu n'était pas dans un meilleur état, mais au moins il était conscient. Il releva la tête, à temps pour voir s'approcher d'eux un homme grand et efflanqué, dont les yeux, couverts d'une fine pellicule blanchâtre comme ceux des aveugles, le firent frissonner.

"Des enfants n'ont rien à faire chez les ninja," déclara-t-il comme s'il venait de découvrir une mauvaise herbe qu'il allait lui falloir arracher.

Il leva le bras droit à la verticale ; sa longue manche noir retomba sur son coude, dévoilant un avant-bras osseux. L'air se mit à vibrer autour de lui, puis tourbillonna si fort que le membre de l'homme en devint flou. Jiu avait entendu parler de ce genre de technique.

"Une... une épée de vent, murmura-t-il sans pouvoir détacher ses yeux de celui qui s'était arrêté à seulement quelques mètres d'eux.
- Nul ne saura jamais si vous auriez fait de bons ninja," annonça simplement l'autre.

Il se rua sur eux. Instinctivement, les doigts de Jiu s'étaient crispés autour de ses kunaï quand ils avaient été attaqués, et il n'en avait perdu aucun. Il les lança sur l'homme, mais tous rebondirent sur lui comme de vulgaires épines de pin. N'ayant plus le temps d'éviter l'attaque, Jiu ferma les yeux.
La première chose qu'il sentit fut un bref courant d'air, suivi de quelques goutelettes chaudes et poisseuses sur son visage. Il entrouvrit les paupières, et vit le large dos de son professeur orné d'un trou béant au niveau du flanc gauche ; le sang s'en écoulait abondamment et de minuscules lambeaux de chair s'écrasaient misérablement sur le bras de l'homme qui s'était élancé vers eux.

"Kenka... senseï ?" Sa voix était à peine audible.

Sans laisser le temps à Shichikoeda de réagir, Kenka attrapa ses épaules et le força à s'incliner, lui enfonçant ainsi son genou dans le ventre avec toute la force qu'il était capable de rassembler. Avec un gargouillement, le ninja s'affaissa à ses pieds, la respiration coupée ; il n'avait pas eu le temps de repousser l'attaque. Kenka se laissa tomber à genoux presque immédiatement, s'appuyant sur la paume de ses mains pour ne pas finir complètement à terre. La douleur qui lui lacérait le flanc n'était pas la pire qu'il ait connue dans sa vie, mais elle n'était tout de même pas négligeable. Il toussa ; un filet de sang gluant s'écoula de sa bouche pour relier ses lèvres au sol. Il se força à respirer plus calmement, mais rien n'y faisait : il avait de plus en plus l'impression d'étouffer...

"Ne bougez plus !" lui intima la voix, lointaine, de l'avorton qui lui servait d'élève.

Qu'il le veuille ou non, Kenka ne pouvait de toute façon plus faire autrement : bouger était devenu pour lui quelque chose de légèrement plus compliqué que d'habitude, avec ce foutu trou qui avait dû lui exploser des trucs importants. Il essaya de se redresser - agoniser devant l'avorton? Que dalle! - mais ses pieds patinèrent quand il voulut relever ses jambes, et il fut forcé de s'appuyer un peu plus sur ses bras pour ne pas perdre définitivement l'équilibre. Pourtant, en dépit de son état, il entendait encore distinctement ce qui se passait près de lui : Jiu s'affairait à côté de lui, mais le jônin ne se sentait pas l'envie de faire l'effort de tourner la tête vers le gamin.
Il y eut soudain un instant au cours duquel Kenka se sentit flotter. Plus rien ne le rattachait plus au sol, la douleur semblait s'être envolée ; il ne se rendit même pas compte qu'il se laissait basculer sur le côté et que son élève l'allongeait sur le dos. Puis, lentement, ses sens se réveillèrent ; la douleur aussi, mais de façon beaucoup plus supportable, étrangement. Le ciel était bleu au-dessus de lui, tout autour de Jiu qui lui masquait le soleil, et dont les lèvres bougeaient sans qu'il comprenne vraiment ce que le gamin disait.

"Parle plus fort, l'avorton, j'pige rien," marmonna-t-il.

Il tourna la tête sur le côté, la bouche ouverte : le sang coula entre ses lèvres. Il essaya de le cracher pour l'évacuer plus vite, mais c'était comme s'il ne savait plus actionner son gosier ou sa langue. Il essaya de regarder Jiu : le gosse le regardait d'un air inquiet, à ce qu'il parvenait à deviner de son visage en contre-jour.

Le jeune Akino se remit debout. L'état de Kenka était critique, et si aucun medic-nin ne le soignait rapidement, les puissants antalgiques de son clan ne pourraient jamais le sauver. Un sentiment d'impuissance l'assaillit : il aurait dû mieux s'équiper en vue de leur premier entraînement, prendre des pilules militaires par exemple, n'importe quoi d'utile! Il n'aurait jamais crû qu'ils se feraient attaquer, et que Kenka était le genre à se faire avoir. Et Yume... Jiu retourna auprès de son équipière, toujours évanouie. Pour elle non plus, il ne pouvait rien faire. Rien du tout, et les petits pincements sur ses épaules de la part de son scorpion ne le réconfortaient pas.
Hibachi! L'hyène était rapide, elle pourrait certainement emporter Kenka et Yume à Suna avant qu'il ne soit trop tard!... Non, le jônin ne survivrait certainement pas au voyage...

*Je dois quand même essayer !* se dit-il en partant en direction du lieu où étaient restés Hibachi et Araki.

A peine Jiu avait-il commencé à s'éloigner qu'un gémissement le fit se retourner. Un frisson le parcourut tout entier. Là, sous ses yeux, l'homme que Kenka avait assommé quelques instants plus tôt se relevait, une main plaquée sur l'estomac.

"Le fils de pute ! siffla Shichikoeda, mettant de côté le semblant de politesse auquel il s'était tenu jusqu'à présent.
- Merde...," murmura Kenka, le regard trouble.


Après avoir titubé, le Kawara leva la bras, main tendue, et baissa les yeux vers le jônin, étendu devant lui dans une mare de sang. Le vent se remit à siffler autour de lui, mais cette fois-ci, une aura bien plus menaçante en émanait. Son visage retrouvait peu à peu son calme habituel, et c'est presque en souriant qu'il dit à l'adresse de Kenka :

"Ce n'est pas toi que je vais tuer. Tu te débrouilles très bien tout seul, tu n'as pas besoin de mon aide pour crever comme un chien. Non, c'est plutôt..."

Il pivota sur ses talons de manière à se retrouver face à Jiu. Il étendit son bras dans sa direction.

"... c'est plutôt cet enfant, je crois, qui va mourir. Ensuite, si tu n'es pas encore mort, je m'occuperai également de la petite, allongée là-bas. Et si tu es encore vivant, eh bien... j'aviserai. J'irai peut-être chercher cet homme qui t'accompagnait tout à l'heure, s'il a survécu, pour le tuer ici.
- Si jamais tu fais ça...! gronda Kenka, la bouche pleine de sang, en tentant vainement, une fois de plus, de se redresser.
- Silence ! l'interrompit Shichikoeda en lui donnant un coup de pied dans la tête, Sais-tu que je ne supporte pas que l'on me touche, sale vermine ? Que pour avoir osé me frapper, moi, tu mérites le châtiment de mon choix ?"

A l'instant où il prononçait ces mots, une floppée de shuriken tournoyèrent droit sur lui, mais il n'eut qu'à diriger son bras vers eux pour les repousser et les renvoyer en direction de Jiu, qui dut rouler sur le sol afin de les éviter.

"N'aie pas peur, sourit le Kawara, Je ne t'oublie pas. Je vais utiliser sur toi l'une de mes techniques favorites."

Pour la première fois depuis qu'ils avaient eu affaire à lui, Shichikoeda joignit ses deux mains et composa une suite de signes, trop vite pour que Jiu ait le temps de les saisir. Il s'immobilisa finalement sur le signe du tigre, avant de laisser retomber ses bras le long de son corps. Pendant un instant, rien ne bougea ; l'autre gardait la tête inclinée sur son torse. Quand ses yeux revinrent se planter dans ceux du jeune Akino, celui-ci se demanda à nouveau par quel miracle cet homme parvenait à distinguer le monde qui l'entourait. Pour la seconde fois, Shichikoeda leva l'une de ses mains, qui s'entoura de ce même vent impénétrable.

"Puisque ta vie est sur le point de s'achever, autant renseigner l'enfant que tu es sur la façon dont il va quitter ce monde. La technique que je m'apprête à employer sur toi diffère de la barrière qui protège habituellement mon corps, commença à lui expliquer le Kawara, D'ordinaire, je répartis équitablement mon chakra à travers mon corps, de façon à pouvoir en libérer la même charge, et ainsi obtenir le même niveau de protection pour chaque parcelle de ma chair. Ce n'est pas le cas ici. Une importante partie de mon énergie vitale se concentre..."

Ses doigts se refermèrent autour d'un manche invisible.

"... en un point unique, de façon à générer à distance une attaque rapide, violente et quasi-imparable, du moins pour un ninja aussi médiocre que toi."

Jiu vit alors que des grains de sables, tournant sur eux-mêmes, s'élevaient, haut au-dessus de la tête de l'homme qui avait promis de le tuer. Réalisant l'imminence de l'attaque, il se mit à courir vers les rochers qui, l'espérait-il, pourraient l'abriter jusqu'à ce que les secours arrivent - s'ils arrivaient. Malheureusement pour lui, Shichikoeda fut prompte à réagir. Il leva lentement sa main par-dessus sa tête puis, avec un sourire réjoui, l'abattit violemment.

"Kaze no mugenhoko no jutsu !" clama-t-il.

Aussitôt, une très large ligne se traça dans le sable, le projetant de tous côtés, et fusa directement sur le genin qui, malgré sa course en zigzags, ne pourrait empêcher la lame de vent de le transpercer. La poussière soulevée par la friction de l'air empêcha bientôt de voir quoi que se soit, mais Shichikoeda savait qu'il avait atteint sa cible. Un choc sourd derrière lui lui fit reporter son attention sur le jônin affalé à ses pieds. Ou plutôt, qu'il croyait affalé : Kenka s'était remis à genoux, une mains posée à plat sur le sol, et le lorgnait d'un air triomphant.

"Quasi-imparable, hein ? répéta-t-il d'une voix rauque, C'est de la merde, ta technique."

A cet instant seulement Shichikoeda remarqua les traces de fissures creusées sous les doigts du ninja de Suna. Faisant volte-face, il aperçut, beaucoup plus loin, le mur de terre qui s'était soulevé, visible au milieu du sable qui s'éparpillait lentement dans l'air, et avait protégé Jiu ; le fûton l'avait profondément défoncé, mais il tenait encore debout. Le Kawara voulut alors se ruer sur Kenka, mais au moment où il pensait ceci, une ombre se profila à côté de lui. Il perçut un éclat métallique et s'écarta in-extremis pour ne pas avoir la gorge tranchée par l'éventail qui venait de se déplier près de son visage : il était orné d'aiguillons noirs. Le nouvel arrivant réattaqua aussitôt, contraignant Shichikoeda, dont la lance de vent s'était dissoute après qu'il l'ait lancée sur Jiu, à sortir un kunaï pour parer ses attaques. Le Kawara réussit à s'éloigner en quelques bonds. Il recomposa de nouveaux signes et, après avoir pris une longue inspiration comme l'avait fait Kenka au début de leur affrontement, il se mit à souffler de toutes ses forces. L'inconnu se jeta sur Kenka, et l'ayant attrapé fermement, l'entraîna avec lui à distance respectable de la daitoppa de Shichikoeda. Ce mouvement fit en partie glisser l'épaisse étoffe dans laquelle il était emmitouflé. Gêné par la façon dont tombait désormais son vêtement, il s'en débarassa d'un geste vif.
Jiu sentit son coeur rater un battement.

De leur côté, Hibachi et Araki étaient venus à bout de leurs adversaires respectifs sans trop de mal. L'hyène léchait le sang de ses babines, quant au chûnin, il avait attaché trois hommes à un rocher et se chargait d'interroger l'un d'eux, le seul encore conscient.

"Qu'êtes-vous venus faire à Suna ?" lui demanda-t-il.

Aucune réponse.

"Bon, eh bien si vous n'êtes pas plus causant avec moi, j'espère que vous le serez davantage avec ces messieurs du service des renseignements."

Le ninja déglutit mais conserva le silence. Araki s'en détourna : Hibachi s'approchait de lui, la langue pendante.

"Tu diras à Kenka que j'ai apprécié cette petite excursion, lui dit-elle de sa voix profonde, peut-être un peu plus éraillée à force de grondements répétés, On remet ça quand il veut.
- Je lui transmettrai le message," répondit-il distraitement.

L'hyène sourit. La seconde d'après, une épaisse fumée l'avait remplacée, et elle était repartie d'où elle était venue.

"Cette bestiole me fait toujours froid dans le dos, murmura-t-il.
- Araki Gendo !" l'appela une voix derrière lui.

L'interpelé se retourna, pour voir s'approcher une silhouette recouverte de l'une de ces capes utilisées pour voyager dans le désert. Lorsqu'elle rejeta sa capuche en arrière, Araki vit qu'il s'agissait d'une jeune fille qui ne devait pas avoir plus de vingt-trois ou vingt-quatre ans. Ses cheveux noirs, tressés, étaient tirés en arrière et découvraient un visage lisse : des yeux noirs en forme d'amande et aux cils courts, soulignés par des sourcils qui, actuellement froncés, creusaient une ride verticale au milieu de son front ; elle avait le nez court et rond, et sa lèvre inférieure, plus avancée, lui donnait une expression boudeuse. Un bandeau de shinobi de Suna était attaché autour de son cou.

"Tsume-san ? fit-il, surpris, Que faites-vous ici ?
- Je vous retourne la question ! répliqua la dénommé Tsume, les yeux étincelants de colère, Nous avons été chargés de capturer les hommes que vous avez massacrés !
- Ils ne nous ont pas vraiment laissé le choix, se défendit Araki, Enfin, si vous y tenez tant, vous pouvez toujours vous occuper de ces trois-là."

Il montra les prisonniers du pouce. La jeune femme les considéra d'un air dubitatif.

"Ce sont des ninja ? demanda-t-elle.
- Celui du milieu, sans doute. Il est d'un niveau trop médiocre pour en être sûr.
- ...
- Vous cherchez quelque chose, Tsume-san ? voulut-il savoir, voyant qu'elle tournait la tête de tous côtés.
- Il devait y avoir quelqu'un d'autre, dit-elle presque à voix basse, après avoir scruté chacun des corps, Gendo, n'y avait-il pas dans ce groupe un homme au crâne à moitié rasé? Avec un tatouage ?
- Si vous parlez d'un triangle dans un cercle... je l'ai vu suivre Kenka et deux autres hommes... Où allez-vous ?
- Venez avec moi !" lui cria Tsume.

Abandonnant pour un temps les prisonniers à leur sort, Araki lui emboîta le pas.







Alors qu'Araki et Tsume se précipitaient à leur rencontre, Jiu, lui, ne pouvait détacher ses yeux de celui qui déposait Kenka sur le sol. Bien que l'inconnu soit pour l'instant de dos, ses cheveux roses en pagaille ne laissaient aucun doute quant à son identité, sans compter que l'éventail qu'il brandissait ne lui était pas totalement étranger.

"Kôb-, commença-t-il.
- Oh, Jiu-chan, toi ici ! l'interrompit immédiatement l'autre en se tournant vers lui, sourire moqueur aux lèvres.
- Kôbaï ! réussit à s'écrier Jiu.
- Pour une fois que tu m'appelles par mon prénom, c'est vraiment dommage que l'on n'ait pas le temps de discuter, déplora l'interpelé en secouant dramatiquement la tête, avant de pointer son éventail vers Shichikoeda, Kawara, tu sais que tes chances de t'enfuir dans ce désert sont minces, pourquoi ne pas te rendre docilement et nous épargner la peine de venir te chercher ?
- Ta question est naïve, lui répondit l'homme d'un ton méprisant, Il me reste encore suffisamment de force pour t'affronter, et à distance tu ne pourras pas me-"

Les mandibules d'une créature au long corps de bois, garni de nombreuses pattes qui s'agitaient furieusement le long de ses flancs laqués, manquèrent à ce moment se refermer sur lui, et il ne dut sa survie qu'à un réflexe quasi-instinctif, s'écartant d'un bond d'une mort certaine. Les mâchoires articulées du mille-patte - puisqu'il s'agissait d'une marionnette à cette effigie - claquèrent sur du vide, puis repartirent immédiatement à l'assaut ; seulement, à présent, Shichikoeda était averti, et un ample mouvement du bras lui suffisait à balayer les sembons projetés vers lui par la gueule du pantin.

"Oooooh, Makoto, déjà de retour ? s'exclama Kôbaï, mettant l'une de ses mains en visiaire.
- Perd pas d'temps, Kôbaï ! lui ordonna la jeune femme, dont les doigts articulaient la marionnette à distance, Il ne faut pas qu'il nous échappe !
- Oui oui."

Tirant un second éventail d'une sorte de fourreau de bois accroché sous son aisselle, l'aîné Akino se rua sur Shichikoeda. Il sauta sur le dos du mille-patte et remonta en courant jusqu'à sa tête. Il s'élança alors sur son adversaire, qui n'eut pas le temps de se protéger suffisamment contre ce nouvel assaillant : l'éventail, ouvert d'un claquement sec, avait entaillé de ses aiguillons la peau de son avant-bras. Avant qu'un second coup ne lui soit porté, le Kawara réussit à repousser Kôbaï - ce dernier s'était trop approché, l'effet de surprise ne prenait plus. Les deux hommes s'éloignèrent l'un de l'autre, le mille-patte demeurant derrière le ninja de Suna. Shichikoeda, sans perdre ses ennemis des yeux, porta une main à sa blessures.

"Du poison ? siffla-t-il, soudain inquiet.
- Nous n'avons pas reçu l'ordre de te tuer, lui répondit Kôbaï, Ce n'est qu'un paralysant. D'ici quelques minutes, tu seras dans l'incapacité de te battre.
- Saleté...!
- Plutôt que de te ridiculiser, un conseil : rend-toi. Compte tenu de tes réserves de chakra et de ce nouvel handicap, tes chances de l'emporter sont devenues quasi-nulles," énonça l'aîné Akino d'une voix traînante.

A ces mots, Shichikoeda se permit un léger sourire. Ses mains se joignirent pour former le signe du cheval. Kôbaï fronça les sourcils et resserra ses doigts autour de ses deux éventails.

"C'est inutile, je te préviens, lui rappela-t-il.
- Qui a dit que j'allais attaquer ? ricana l'homme, Kuuki no Haretsu !" [kuuki => air et haretsu => éclatement]

L'héritier des Akino avait bondit avant qu'il n'ait fini de parler, mais l'énorme mur de sable qui se souleva subitement le percuta de plein fouet, l'envoyant valser à plusieurs mètres de là. En quelques secondes seulement, un véritable dôme s'éleva devant les ninja de Suna. Araki, qui avait rejoint les autres, passa l'un des bras de Kenka par-dessus ses épaules et l'entraîna plus loin, après avoir fait signe à Jiu de faire de même avec Yume ; l'adolescent s'exécuta sans perdre de temps, et bientôt ils se retrouvèrent en sécurité derrière les rochers, laissant les deux autres en première ligne.

"Qu'est-ce que tu fous, Kôbaï ?! s'énerva Makoto lorsque son équipier la rejoignit derrière la marionnette qu'elle avait ramenée à elle.
- Je mets mon précieux postérieur à l'abri ! répliqua-t-il, Contre-attaquer cette technique ne nous avancera pas à grand-chose, alors autant le laisser gaspiller le chakra qu'il lui reste et aller le cueillir après, pour ce que ça nous fera perdre de temps...
- J'te demandais plutôt pourquoi tu me collais, Akino," grogna-t-elle.

Le vent cessa soudain, mais le sable continua de tourbillonner un moment, empêchant de voir quoi que se soit.

"Je m'en occupe," fit Makoto.

Le mille-pattes ouvrit la gueule, mais cette fois, ce ne furent pas des sembons qui en jaillirent : une boule d'air se concentra entre ses mandibules, occupant de plus en plus d'espace, jusqu'à faire craquer les parois de bois qui servaient de bouche à la marionnette. Lorsque celles-ci furent sur le point de céder, Makoto acheva les signes qu'elle avait commencé à composer, et la boule d'air fut projetée en avant. Le sable fut chassé loin des ninja de Suna en quelques secondes, permettant à Kôbaï et son équipière de se relever et se précipiter à l'endroit où s'était tenu Shichikoeda peu de temps auparavant. Bien sûr, l'homme avait disparu, ce que constata Makoto avec un sifflement rageur.

"Il n'ira pas loin, lui fit remarquer Kôbaï comme si la chose n'avait que peu d'importance, Je m'occupe d'aller le chercher.
- Entendu, grogna la jeune femme, Je me charge de ramener les blessés au village."

Elle tourna les talons, puis s'arrêta et lança sans regarder son équipier.

"Fais gaffe.
- Même un genin devrait y arriver," répondit le chûnin avec un petit sourire. Ce genre d'attention de la part de Makoto était suffisamment rare pour qu'il sache l'apprécier.

Sur ces mots, il disparut à son tour, laissant à la jeune femme le soin de s'occuper du groupe qui émergeait des rochers. Kenka semblait avoir perdu connaissance malgré l'intervention rapide d'Araki - ce dernier, en effet, connaissait quelques techniques propres aux ninja médicaux - quand à Yume, elle n'était toujours pas revenue à elle. Sans un mot, Makoto ouvrit une trappe, située sur le dos de sa marionnette, et aida à y installer Kenka ; la petite kunoichi, elle, fut allongée dans une autre cavité, que la marionnettiste ne referma qu'à demi sur la demande d'Araki.

"Si jamais elle se réveillait pendant le voyage..., commença-t-il.
- Inutile d'en dire plus, Gendo, l'interrompit-elle, J'étais de garde lorsque vous nous l'avez amenée.
- Je vous remercie, Tsume-san."

Araki s'inclina, puis fit signe à Jiu de suivre Makoto lorsque celle-ci alla s'asseoir sur la tête du mille-pattes. En raison du chargement qu'elle transportait, la marionnette demeurerait collée au sol lorsqu'elle se mettrait en mouvement.

"Je les ramène au village. Vous, restez auprès des prisonniers, je vous enverrai quelqu'un."


Un signe de tête montrant que l'intéressé avait compris l'ordre, et Makoto lança sa marionnette à travers le désert.