Première leçon (suite)

[HJ : Suite du Terrain d'entraînement n°6 (première leçon]

Jiu avait immédiatement empoigné l'épaisse fourrure de Hibachi et s'était penché en avant - il ne le réalisa pas tout de suite, mais il se collait complètement à son équipière dans cette position - pour ne pas tomber. D'une main, il retint son bonnet, et se félicita de porter ses lunettes qui lui permettaient de garder les yeux ouverts malgré le sable et le vent qui lui fouettaient le visage.
Leur course durait bien depuis une trentaine de minutes lorsque Kenka, qui jusqu'ici avait ouvert la voie, se rabattit brusquement sur le côté et laissa Hibachi le distancer.

"Qu'est-ce qui lui prend ?" marmonna la hyène sans ralentir sa course.

Jiu risqua un coup d'oeil en arrière, mais ils soulevaient trop de sable pour qu'il puisse voir ce qui retenait son professeur.
Kenka finit par les rattraper peu après. A la grande surprise de tous, il transportait Araki sur son dos. Le chuunin adressa un petit signe de la main aux enfants quand ils furent à leur hauteur, un petit air gêné sur le visage. "C'est Kenka qui a insisté," purent comprendre ceux qui lirent sur ses lèvres ; Jiu, sous le coup de l'étonnement, ouvrit un instant la bouche, un fatal instant qui lui remplit le gosier de sable. Se penchant sur le côté, le jeune homme toussa et cracha tout ce qu'il put, se cramponnant tant bien que mal aux longs poils de Hibachi et aux vêtements de Yume.

Ils n'arrivèrent à destination qu'un quart d'heure plus tard. Kenka ralentit l'allure lorsqu'ils furent en vue de ce que les habitants de Kaze no Kuni appelaient "les Falaises de l'Est" : les dunes de sable étaient remplacées sans transition par des rochers noirs aux coins tranchants, parfois séparés par des gorges profondes.
Quand leur monture se coucha sur le sol pour leur faciliter la descente - enfin, celle de Yume, surtout - Jiu se laissa glisser le long de son flanc et s'écarta d'elle d'un pas mal assuré, des fourmis dans le bas du corps. Yumi, dans son dos, relâchait la pression exercée par ses petites pinces, soulagée que cette course effrénée à travers le désert ait pris fin.

Yume ne descendit pas tout de suite du dos de Hibachi : elle avait une meilleure vue hissée sur la Hyène que debout sur le sol, et ne pas en profiter aurait été stupide. Le style du paysage était nouveau pour elle, qui n'avait jamais vu autre chose que le sable du desert et les quelques herbes folles des oasis. Elle poussa un petit cri en tentant de mesurer la hauteur approximative des rochers noirs. Ils étaient sans aucun doute plus hauts que les batiments les plus élevés du village. Ils ne brillaient pas comme la carapace de Yumi, mais ils avaient des taches brunes et quelques traces de rouge, aux endroits les plus éclairés. Des cailloux noirs précieux, et si jolis, plus grands que les maisons ! Peu importait ce que Kenka avait l'intention de leur faire faire ici, cette excursion lui aurait apporté quelque chose de bon ; cet endroit était vraiment très intéressant.
Kowai siffla doucement, lui rappelant qu'elle devait descendre du dos de Hibachi, mais elle y resta perchée, fredonnant gaiement tandis qu'elle observait le moindre recoin des falaises.

Araki descendit prudemment du dos de son ami. Il avait les jambes en compote : Kenka n'avait jamais été capable de porter quelqu'un sans le serrer trop fort. Il fit quelques pas hésitants, ses sandales s'enfonçant de travers dans le sable, manqua de tomber une ou deux fois, puis se tourna vers le juunin et commenta, pince-sans-rire.
"Je savais que tu tenais à moi, Jagajaaku-san, mais de là à me broyer les jambes en me serrant bien fort contre toi... Les enfants vont s'imaginer des choses, tu sais ?"

A ces mots, Yume sursauta et sauta à terre. Son regard passa de Kenka à Araki, puis d'Araki à Kenka, et elle courut se placer entre eux, près du chuunin. Kenka-sensei essayait de faire des choses à Araki-hebi ?! Elle grimaça de dégoût et secoua la tête avec frénésie. Non, Araki-hebi ne méritait pas de servir de chose à plaisir à une brute comme Kenka. Elle saisit la main du chuunin et l'entraîna loin de son professeur.

Kenka s'étrangla un peu trop longtemps pour répliquer quelque chose d'à peu près intelligent à Araki, laissant à Yume l'occasion de s'interposer et d'éloigner son ami. La grimace que la gamine avait fait en le regardant ne l'avait pas vraiment aidé à trouver ses mots non plus.

"Ca va pas de dire des conneries pareilles, non ?!" finit-il par s'écrier.

Le léger rire un brin moqueur d'Araki fut couvert par celui, stridant, de Hibachi, qui ouvrait grand la gueule et exhibait ses crocs luisants en signe d'hilarité. Jiu, quant à lui, préféra ignorer la scène qui venait de se jouer devant lui. Il avait déjà suffisamment à faire chez lui avec certaines remarques scabreuses de son frère.
Le jeune Akino s'approcha de son professeur - pas trop près non plus, Kenka paraissait très contrarié, sa getta n'en devenait que plus menaçante - et s'efforça de changer de sujet d'un air vaguement intéressé.

"Il a quoi de spécial, cet endroit ? demanda-t-il d'une voix traînante.
- Ca s'voit, non ? répondit Kenka, descendant sur lui son regard furieux, Les alentours immédiats du village sont trop plats, et puis vous les connaissez par coeur ces putains de dunes. Faut vous exercer sur différents terrains, varier les conditions ! C'est comme ça qu'on devient un bon ninja !"

Jiu hocha lentement la tête, peu sûr de l'intérêt de la chose. Araki, pour sa part, se retint de faire remarquer que si le jônin avait décidé de les faire venir jusqu'ici, c'était parce qu'il n'avait pas envie de risquer que ceux du village viennent assister en douce à son entraînement - ici, il aurait bien moins de mal à régler leur compte aux gêneurs, qui ne pourraient pas faire appel à la garde en cas de situation délicate... il n'y aurait que le chûnin, pour leur sauver la mise. Araki savait bien que Kenka était loin d'être apprécié au sein de Suna, et que beaucoup ne perdaient pas la moindre occasion de causer du tort à ce ninja trop fier et trop peu respectueux des règles ; les rebelles attiraient rarement la sympathie.
Sans compter que cette petite "excursion" donnait l'occasion à Kenka d'appeler Hibachi. Étant donné le niveau des missions qui lui avaient été assignées ces derniers temps, on comprenait que le jônin ait envie de la voir - bien qu'il protestât chaque fois que son ami lui en faisait la remarque : la hyène était "une technique et rien d'autre". Le jônin niait cette soi-disante affection qui se serait établie entre eux ; quant à Hibachi, elle gardait le silence, ne lâchant qu'un petit "Tsssch!" pour marquer, elle aussi, son désaccord. Mais Araki ne s'y trompait pas.

"Bon, et qu'est-ce qu'on doit faire ici ? reprit Jiu, agitant l'une de ses longues manches d'un geste agacé, Grimper sur les rochers pointus ?"

Il avait été ironique et se préparait mentalement à éviter le coup de pied, qu'assurément son professeur lui enverrait, mais à sa grande surprise il n'en fut rien. Pis, Kenka alla même dans son sens.

"Ouais, fit le jônin, qui se calmait petit à petit, Exactement, vous allez courir sur les rochers pointus."

Le jeune homme ouvrir des yeux ronds. Araki soupira doucement en secouant la tête, alors qu'un sourire mauvais se dessinait sur les lèvres de Kenka.

"A ceci près que vous devrez esquiver mes attaques," ajouta-t-il en dissimulant parfaitement son air réjoui.

Yume grimaça. Courir sur les rochers noirs ? Elle n'était habituée qu'au sable qui entourait le village, et le vieux lui avait appris que la démarche à adopter dépendait du terrain. Les falaises semblaient dures, et leurs arrêtes coupantes ; bref, pas grand chose à voir avec les grains de sables crissants, brûlants et mouvants. Elle marcha jusqu'à un rocher, tapa du pied contre. Oui, c'était dur, aussi dur, peut-être même plus, que les murs des maisons du village. Et c'était aussi chaud que les grains de sable, sauf que ça ne bougeait pas, et ne chatouillait pas à travers la semelle de ses bottes.
Elle se tourna vers Kenka.
"Jamais marché sur des rochers, qu'elle a, Yume. Tkkkk. Elle sait pas, non sait pas, si elle arrivera à bien courir, là dessus."

Puis elle fronça les sourcils en se remémorant la deuxième partie de leur supposé entraînement.
"Esquiver les attaques ? Iiiish-ka. Quoi que c'est comme attaques ? Fort, qu'il va frapper, Kenka-sensei ? Tsssskkk. Il va lancer ses ghetta ? Ninjutsu, o-oosh, qu'il va utiliser ?"
La perspective de s'enfuir en étant attaquée par un juunin ne lui plaisait guère, encore moins en sachant que le juunin en question n'hésiterait pas à les frapper suffisamment fort pour leur faire cracher du sang. Pouah. De toute façon, elle n'arriverait sans doute même pas à courir correctement sur ce sol trop dur, alors pour esquiver... Et puis, elle n'avait pas l'habitude de combattre de cette manière. Elle ne prévenait pas ses adversaires lorsqu'elle les attaquait, ce qui lui évitait d'avoir à se défendre.
Elle plissa les yeux.
"Juste se défendre ? Quoi qu'on peut utiliser, pour se défendre ?"

Kenka garda son long, profond soupir désespéré pour plus tard. L'exercice n'avait même pas encore vraiment débuté que les morveux le soûlaient déjà - bon, il n'y avait que Yume qui avait parlé, mais l'avorton paraissait suffisament démotivé pour que le jônin le mette dans le même panier que son équipière. Une toux discrète derrière lui le persuada de ne pas s'énerver immédiatement contre eux - ces mioches pouvaient remercier le ciel qu'Araki les ait accompagnés.

"C'est plus facile que d'marcher sur le sable, dit-il à Yume en se passant une main sur le visage, On a un meilleur appui. Et ouais, j'vais cogner dur, alors quand j'dis que vous allez devoir esquiver, c'est pas : "Wooooh, j'ai la flemme d'me bouger l'cul, laissons v'nir ce coup, d'toute façon c'est qu'un entraînement !". Parce que j'vais vraiment chercher à vous latter la gueule. J'vois pas pourquoi le village s'encombrerait de mouchards élevés au biberon jusqu'à la puberté !"

Cette fois-ci, Araki ne chercha pas à répliquer quoi que se soit, ni à présenter les choses autrement. Bien que la façon de parler de Kenka ne soit pas très subtile, il avait malheureusement raison : on n'élevait pas de bons ninja avec du coton. Évidemment, les tuer dans l'oeuf ne servirait pas davantage Suna, mais le chûnin avait suffisamment confiance en son ami pour savoir qu'il ne frapperait pas si fort que ça.
Ou plutôt, il espérait que Kenka aurait la présence d'esprit de ne pas de tuer ses élèves dès le premier cours.
De son côté, Hibachi, sans plus se soucier des humains, était allée s'allonger à l'ombre de l'un des rochers et semblait s'être endormie paisiblement ; seules ses oreilles dressées, qui tressaillaient de temps en temps, montraient que la hyène restait attentive à ce qui se passait autour d'elle.
Jiu, lui, considérait le terrain irrégulier qui s'étendait devant lui. Les arêtes tranchantes n'incitaient guère à être parcourues, et le jeune genin se demanda combien de temps il pourrait courir dessus en évitant les ghettas de son professeur sans s'empaler quelque part. Non, vraiment, ça ne lui disait rien, et Yumi, accrochée dans son dos, ne se sentait pas plus réjouie que son petit maître. Avant qu'il pense à faire remarquer qu'il aimerait mieux s'entraîner à autre chose, Kenka poursuivait sa réponse à Yume :

"Pour te défendre, tu prends c'que tu veux, du moment que t'arrives à rester en un seul morceau. Bon, j'vais être chic avec vous, z'avez juste à vous rendre jusqu'au grand pic, là-bas."

Le jônin tendit le bras en direction d'un rocher plus élevé que les autres, situé à peut-être deux cent mètres de là.

"Une fois que vous serez là-bas, on verra pour passer à autre chose."

Kenka considéra rapidement ses deux élèves. Ils étaient tendus ; c'était une bonne chose. Il enfonça ses mains dans les poches de son pantalon.

"Qu'est-ce que vous attendez pour y aller, les mioches ? leur lança-t-il, Si vous vous dépêchez pas, j'aurai aucun mal à vous rattraper, alors arrangez-vous pour que j'm'ennuie pas trop !"

Jiu n'attendit pas qu'il se répète. En un bond, il se retrouva sur la face quasi-verticale de l'un des rochers, à près de cinq mètres du sol. Concentrant immédiatement son chakra dans la plante de ses pieds afin de ne pas retomber, le genin se mit à courir vers le haut, avant de s'envoler vers un autre rocher. La surface de la pierre noire - il pouvait le sentir à travers ses sandales - était brûlante. Au cinquième saut, lorsque la partie sur laquelle il avait appuyé son pied se détacha, manquant lui faire perdre l'équilibre, Jiu tenta de se rattraper aux aspérités de la roche : ses mains furent écorchées, bien sûr, et ses paumes en partie brûlées ; le jeune Akino serra les dents et continua.
Il n'avait jusqu'ici pas osé regarder derrière lui, ne voulant pas prendre le risque de rater un appui, mais lorsqu'il sentit nettement une présence dans son dos, Jiu ne put s'empêcher de jeter un coup d'oeil par-dessus son épaule : Kenka ne se trouvait qu'à quelques mètres de lui, et il se rapprochait de plus en plus! Le jeune homme savait qu'accélérer ne lui servirait à rien contre la vitesse du jônin, aussi fit-il la seule chose qui lui parut utile. Repoussant d'un geste sec les longues manches de sa tunique, il plongea une main dans la sacoche garnie de kunaï attachée dans son dos, de laquelle il sortit un mince rouleau de filin métallique, dont chacune des extrémités avait été nouée à la partie cylindrique d'un kunaï. D'un geste sûr, Jiu décocha son arme, qui alla se ficher dans un rocher non loin de là - certains présentaient des fissures plus ou moins profondes, la lame n'en serait pas délogée si facilement - puis, profitant d'un bond plus long que les autres, enfila sur le filin des capsules dont il s'était muni avant de gagner le terrain d'entraînement ; toute contenait un poison destiné à ralentir la progression de l'ennemi. Lorsqu'il estima Kenka suffisamment près, le jeune Akino fit glisser ses capsules le long du fil et, lançant son dernier kunaï afin de tendre le fil, il joignit ses mains pour former le signe du tigre.
Son professeur se trouvait à moins de deux mètres lorsque les capsules explosèrent et dégagèrent une fumée épaisse, vaguement rouge, qui l'enveloppa totalement, comme mue d'une volonté propre.

"C'est quoi cette merde ?!" entendit-il s'écrier Kenka.
*Je l'ai eu,* pensa Jiu.

Sa satisfaction fut malheureusement de courte durée : son professeur émergea du brouillard qui s'était concentré autour de lui. Ses yeux n'étaient même pas irrités. Pire : l'odeur qui parvenait désormais aux narines de Jiu ne permettait aucun doute.
Jiu sentit la colère bouillonner en lui.

"Kôbaaaï...," grinça-t-il.

Il s'agissait bien d'un délicat parfum de jasmin, odorant mais pas dangereux le moins du monde. Le genin n'eut pas le temps d'envisager les diverses tortures auxquelles il allait avoir recours sur son frère aîné s'il ne mourrait pas dans l'instant : alors qu'il s'apprêtait à se défendre contre le Kenka qu'il avait devant les yeux, c'est un puissant coup de geta qui l'atteignit au dos, entre les deux omoplates ; il y eut un craquement, et Jiu sentit que Yumi ne s'agrippait plus à ses épaules. Le jeune Akino fut violemment projeté en avant et s'écrasa lourdement sur une corniche, huit mètres en contre-bas. Avec un gémissement de douleur, il voulut se remettre debout, mais le pied de son professeur posé fermement sur lui l'en empêcha.

"Ben alors, gamin ? ricana Kenka, T'es pas foutu de reconnaître un putain de clone quand t'en vois un ? Tsssch. J'espère que ta p'tite copine aura plus de discernement."

"Tu y vas mollo, n'est-ce pas ? s'inquiéta Araki, adossé à l'ombre d'un rocher.
- Hm hm, marmonna Kenka en se calant un peu plus contre le flanc de Hibachi, ce qui fit grogner la hyène dont la queue se mit à s'agiter en signe de mécontentement.
- Mais regarde-toi ! s'exclama-t-elle, Tu m'appelles, je sers de vulgaire dada à deux mioches et tout c'que tu fais, c'est te la couler douce ?!"
Elle ajouta plus bas :
"Et arrête de me prendre pour ton coussin, bordel.
- Z'êtes lourds, grommela le jônin en se relevant à demi, En quoi ça vous emmerde que j'ai envoyé des clones pour les matter un peu, les gosses ? Eh ! Quitte à rien foutre d'intéressant, autant pioncer, je verrai moins l'temps passer !
- Je n'arrive toujours pas à croire qu'ils t'aient réellement nommé professeur, fit Araki.
- Ah, c'était pas une blague ? s'étonna Hibachi, Ca y ressemblait diablement.
- Mais vous allez me lâcher, oui ou merde ?!"



Pendant qu'ils discutaient, l'un des clones de Kenka, puisque celui-ci n'avait pas fait à ses élèves l'honneur de se déplacer en personne, se déplaçait rapidement de pic en pic, ombre furtive sur la pierre noire, fouillant l'amas rocheux tout autour de lui à la recherche de Yume. Il la rattrapa relativement vite, et put ainsi la voir se faufiler en contre-bas et disparaître dans un trou de toute évidence bien trop étroit pour la corpulence du clone. Le faux Kenka dépassa l'endroit où devait se trouver la petite kunoichi, s'arrêta à cinq ou six mètres devant elle, sur une plate-forme suffisamment large pour lui permettre de se tenir debout, les jambes écartées ; ainsi, il dominait légèrement le passage qu'avait emprunté Yume. Il eut un bref sourire, puis s'accroupit et posa ses mains sur le sol, paumes à plat.
"Iwa Yado Kuzushi," grinça-t-il.
Aussitôt, le sol se mit à trembler, d'avoir faiblement, puis de plus en plus fort. L'ampleur devint telle que des pans de roche entiers s'écroulèrent pour disparaître dans les crevasses.



De loin, Araki vit que de la poussière s'élevait, proche du pic que devaient atteindre Jiu et Yume. Il fronça les sourcils.
"Kenka, je t'avais dit de...
- Mais ça vaaaa, fais-en pas tout un plat ! l'interrompit son ami peu désireux d'avoir à subir un nouveau sermon, Je gère, j't'ai dit.
- Kenka..., fit à son tour Hibachi.
- Tu vas pas t'y mettre aussi, toi ?!
- C'n'est pas ça."
Sans se soucier de l'homme avachi contre son ventre, la hyène se releva, fixant l'horizon, les oreilles droites et les narines frémissantes.
"Quelque chose approche, dit-elle de sa voix profonde, Je crois qu'ils sont nombreux.
- Combien ?" voulut savoir Araki.
Hibachi se tourna vers Kenka. Ses lèvres noires étirèrent les coins de sa gueule, offrant à son compagnon un sourire animal qui lui fut aussitôt rendu.
"Suffisamment," répondit le jônin à sa place.

Jiu était toujours aux prises avec l'un des clones de Kenka. Celui-ci s'appuyait de tout son poids sur le dos du genin et affichait un air profondémment ennuyé.
"T'es nul, quand même, soupira-t-il, T'as même pas résisté.
- Va te faire voir, marmonna Jiu, face contre terre, ce qui fit rire son tortionnaire.
- Hé hé, fais gaffe, l'original prendra connaissance de chacun d'tes faits et gestes quand la techniques de clones cessera ! Alors si j'étais toi, j'fermerais un peu ma gueule."
Il écrasa un peu plus son talon contre le dos du jeune Akino, qui étouffa un gémissement. L'expression du genin s'était faite rageuse, mais elle s'adoucit d'un seul coup, laissant place à un sourire impatient.
"Alors retenez ceci... Kenka-senseï, siffla-t-il, sa voix se faisant de plus en plus basse, si bien que le clone dut tendre l'oreille pour percevoir la fin de sa phrase, N'approchez jamais... directement... un empoisonneur."
Le clone fut prompt à réagir et s'écarta de Jiu d'un bond ; malheureusement pour lui, il y eut plus rapide. Une longue queue noire et luisante se dégagea des vêtements du genin pour venir planter son dard dans la cheville dénudée du faux Kenka. Le contact fut très bref, mais c'était suffisant. Le clone s'évapora quelques secondes après et Jiu put se relever tranquillement, Yumi dans ses bras. Il caressa sa carapace sévèrement endommagée par les coups répétés qu'elle avait reçus.
"J'ai crû que t'étais tombée," lui dit-il doucement.
Des claquements de pinces affectueux lui répondirent, lui arrachant presque un sourire.
"On y retourne," fit-il, se remettant en route vers le pic après que son scorpion ait repris sa place dans son dos.



Pendant ce temps, le premier clone, celui que Jiu avait d'abord pris pour le véritable Kenka, était parti dans la direction de Yume - le jeune garçon étant maîtrisé, il n'avait plus rien à faire ici. Lorsqu'il arriva près des rochers qui s'étaient effondrés, il chercha rapidement les traces de la petite fille et du troisième clone. En pure perte : ils n'étaient visibles nulle part. Il pensa d'abord qu'après s'être débarassé de Yume, l'autre avait naturellement disparu, ou avait rapporté son corps à leur point de départ ; puis il l'aperçut, petit point noir qui se faufilait entre les rochers, se rapprochant de plus en plus de son objectif. Sans plus réfléchir, il se lança à sa poursuite.
Aussi incroyable que cela pouvait lui paraître, la gosse avait réussi à se débarasser de son simulacre d'adversaire. C'était une information qui avait des chances de réjouir l'original.



Jiu se déplaçait plus vite qu'avant, il ne réfléchissait plus autant avant de prendre appui sur la roche, et même quand il trébuchait, il réussissait à reprendre son équilibre et à trouver son élan dans une nouvelle prise. La paume de ses mains était bien écorchée. Il regretta de ne pas s'être équipé de gants ; il faudrait qu'il s'en souvienne la prochaine fois, s'il y en avait une.
Soudain, il lui sembla deviner, loin devant lui, la silhouette de Kenka - un autre clone, très certainement. Ce dernier avançait prudemment, Jiu le perdait parfois de vue lorsqu'il s'arrêtait dans une zone d'ombre.
"Il suivrait quelqu'un ?" se dit le jeune Akino, avant de prendre à son tour le clone en filature, prêt à agir.

"Ils ne seront pas sur nous avant dix minutes, apprécia Araki, les yeux plissés et une main sur la hanche, Nous avons le temps de mettre en place une straté...
- On prend une moitié chacun, toi à gauche et moi à droite. Si jamais ils sont en nombre impair, on commence par trancher cui du milieu, comme ça chacun en aura autant à latter que l'autre et ça fera une offensive originale, le coupa Kenka, exposant dans son coin à Hibachi la façon dont ils allaient procéder.
- La symétrie de la chose me plaît," lui répondit l'hyène en jetant un regard amusé au pauvre chuunin qui secouait la tête d'un air dépité, une fois de plus.





Le clone, tout en progressant aussi furtivement que possible - eh! l'original était jônin, ça n'avait rien de difficile - ne perdait pas de vue sa cible. Yume se rapprochait de plus en plus du pic final, il devait l'arrêter dès maintenant. Alors qu'un bond plus long que les autres le portait près de la petite fille, il ressentit soudain un profond malaise et le paysage autour de lui changea de façon radicale. Il eut tout juste le temps de voir où il posait les pieds avant que le sable n'engloutisse tout. Les rochers se confondirent un instant avec le ciel noir, puis se déformèrent, changèrent de couleur pour adopter un gris terreux. Le clone sentit la tête lui tourner un instant.
Et tout disparut.
Le faux Kenka cligna des yeux. Il avait pénétré de plein fouet dans l'illusion, sans aucune transition, mais celle-ci s'était évaporée aussi vite qu'elle l'avait englouti. Il ne pouvait pas s'agir d'un piège censé se déclencher à son passage, il ne durait pas suffisamment - mais peut-être son utilisatrice ne maîtrisait-elle pas encore cette technique, ou bien elle avait compté sur son brusque déséquilibre pour lui faire rater sa prise et le précipiter au fond de la crevasse? C'était possible, cela devait être arrivé à son premier adversaire, mais le clone n'excluait pas non plus une autre hypothèse : si l'illusion était censée la protéger, alors la gosse la projetait peut-être dans un périmètre dont elle restait le centre. A moins de replonger à nouveau dans l'illusion, il n'y avait pas d'autre moyen de vérifier ça, et de toute façon le clone demeurait une copie plutôt fidèle de son original : foncer dans le tas lui paraissait indispensable.
Il repartit donc aussitôt, près cette fois-ci à affronter ce décors de cauchemar. Le terrifiant désert réapparut, mais le clone ne se laissa pas perturber comme la première fois : entrecroisant ses doigts, il concentra son chakra comme il avait appris à le faire, des années auparavant.

*Kaï !*

Il n'y eut pas grand-chose, au début, le soleil et la lune se mirent à tourner plus lentement. Il y eut ensuite un bruit de verre brisé qui se répercuta tout le temps que l'illusion se morcela, porté par un étrange écho. Des zébrures de ciel bleu apparurent ici et là, aussi bien dans l'air que sur le sol lui-même, avant de se rapprocher et de rétablir un certain équilibre à ce monde chaotique. Le sable des dunes s'écoula, comme aspiré par l'abîme qui s'ouvrait sous les pieds du clone. Il serait certainement tombé lui aussi, mais c'est à ce moment-là que les rochers furent à nouveau visibles, lui permettant de se rattraper in-extremis.
Le cauchemar s'effondrait, mais pas assez vite pour permettre au faux Kenka de progresser comme il le voudrait : il ne disposait pas de suffisamment de chakra pour ça.

Derrière lui, Jiu n'avait d'abord pas compris l'état d'ahurissement dans lequel l'avait plongé l'illusion lors de son premier impact, mais il s'était arrêté lui aussi : le clone s'arrêtait sans doute pour vérifier que Yume n'avait pas installé de piège derrière elle.
Lorsque le clone choisit de se confronter une seconde fois au genjutsu de la petite fille, le jeune Akino le suivit sans réfléchir. Ce qu'il vit le stupéfia.
On lui avait expliqué en quoi consistait les techniques de genjutsu : il s'agissait de brouiller les sens de l'adversaire afin de prendre avantage sur lui. Il savait que certaines de ces techniques pouvaient perturber leur victime au point de changer radicalement leur univers.
Mais il n'avait pas imaginé ça. C'était... c'était comme ces mauvais rêves sans aucune logique, sans aucune issue, desquels on n s'arrachait qu'en poussant un long cri. Jiu était trop âgé pour réagir encore de cette façon, mais il paniqua quand il sentit confusémment qu'en dépit du sable qui tourbillonnait autour de ses chevilles, ses pieds ne reposaient plus sur rien.
Brusquement, il tomba, sans pour autant se sentir réellement happé par le vide. Cela ressembla d'abord à un trou fantastique, le sable y tournoyait follement, s'y colorait parfois d'un bleu vif qui l'aveuglait presque, qui par moment s'effritait pour qu'apparaissent des parois de roche noire. Ce fut seulement là que Jiu réalisa qu'il tombait pour de vrai, que les pinces de Yumi lui pinçaient convulsivement les épaules et que devant ses yeux les rochers défilaient, défilaient, défilaient. Le genin tenta de les saisir, mais il en était trop éloigné, ses doigts les frôlaient à peine. Alors, difficilement, il attrapa un kunaï, le filin qui lui restait, et fit une tentative désespérée.

De son côté, le clone avait retrouvé Yume. L'illusion n'avait pas encore tout à fait disparu, mais elle ne le gênait plus. Il aurait bentôt rettrapé la gamine.

Jiu n'osait pas croire à sa chance. Non seulement il avait réussi à lancer son kunaï, mais en plus ce dernier n'avait pas lâché avant qu'il ait atteint la paroi rocheuse en s'aidant du filin pour se balancer. Maintenant, il avait réussi à coincer ses mains et ses pieds dans des encoches naturelles, et il regardait avec une vague inquiétude les pics qui l'attendaient tout au fond du ravin.
"On n'est pas passé loin," soupira-t-il, appuyé par un claquement de pince peu rassuré de la part de Yumi.
Il entreprit de remonter jusqu'en haut, vérifiant précautionneusement chacune de ses prises. Il n'osait se l'avouer, mais il craignait d'être à nouveau replongé dans cette illusion effrayante.





"Quelqu'un devrait aller chercher les enfants, déclara Araki.
- Ils font un exercice, là.
- Kenka, c'est sans doute un groupe de brigands qui s'approche...
- Je veux, que ce sont des brigands ! s'exclama le jônin.
- Eh, l'ami de Kenka ! fit Hibachi d'un ton désagréable, T'es un ninja ou une nounou ? Laisse les mioches là où ils sont, 'sont justement là pour apprendre à se démmerder !"
Le chûnin ne répondit rien, se contentant de lancer un regard lourd de reproches à Kenka, que la culpabilité n'effleura pas une seconde.

Le clone souriait à présent presque aussi largement que l'original - pas que d'ordinaire Kenka aimât s'acharner sur des gosses, mais ravager le paysage autour de lui à l'aide du dôton était toujours assez amusant. Pour l'instant, il s'était contenté de poursuivre sa cible et de la regarder s'échapper à chaque fois in-extremis. La petite était plutôt agile, d'ailleurs, pas comme l'avorton qu'il avait été si facile d'attraper. Bon, en se faisant un tout petit peu plus d'effort, le clone pouvait très bien enterrer Yume sous plusieurs tonnes de pierres, mais cette stratégie ne présentait rien d'intéressant : ça concluerait trop vite l'affaire, il aurait des ennuis auprès du Conseil - on ne tuait pas ses élèves impunément - et Araki lui en voudrait sûrement, il avait l'air attaché à la môme. Donc non, il s'agissait de la jouer finement, du moins autant que possible dans le cas de Kenka.
Lorsque le fumigène répandit son épaisse fumée, le clone s'éleva en quelques bonds et exécuta à toute vitesse les signes nécessaires à sa technique.

*Fûton ! Daitoppa no jutsu !*

Il bomba le torse, comme s'il inspirait profondément, et expulsa soudain d'entre ses lèvres un vent puissant, qui fit voler les gravats et dispersa dans les airs la poussière et le fumigène, révélant ainsi un instant Yume en train d'escalader la paroi, avant de la happer à son tour dans la technique de Kenka. Le clone s'élança alors dans la direction de la genin, prêt à lui décocher un coup de pied lorsqu'il serait près d'elle.

[HJ : au cas où tu te connecterais avant moi, désolé d'agir sur Yume un peu sans prévenir, je modifierai ça si ça te dérange. En attendant, tu peux éliminer le clone dans ta prochaine réponse, comme convenu.]

Tout comme l'avorton la veille au soir, la gamine venait de recevoir un magistral coup de ghetta. Le craquement qui l'accompagna devait signifier qu'il avait durement atteint l'une de ses côtes. Yume fut projetée au-dessus de lui, son petit corps plié en deux comme celui d'une poupée de chiffon, et le clone se demanda quand il la rattraperait avant qu'elle ne s'écrase en contre-bas - qu'elle ait un peu la trouille et qu'elle lui soit reconnaissante de l'épargner après, quoi.
Il n'en fut rien.
Le clone était encore trop près d'elle lorsque ses lèvres s'entrouvirent et la laissèrent cracher tout le sang que son coup avait fait remonter dans sa gorge. Il ne s'imaginait pas qu'une gamine comme elle puisse avoir encore des ressources, et ce fut plus un cri de surprise que de douleur qui lui échappa lorsque le venin se répandit sur son visage. Le jour disparut dès que ses yeux furent atteint, et presque aussitôt après sa respiration se bloqua. Le clone se sentit tomber, il sentit son corps rebondir contre les rochers, mais ses membres ne lui obéissaient plus assez pour lui permettre de se rattraper. Un liquide chaud et poisseux dégoulinait de ses yeux, de ses narines, sa gorge ne parvenait plus à se contracter pour expulser tout le sang qui la remplissait.
Il partit en fumée avant d'avoir atteint le sol, non sans laisser des traces d'un sang noirâtre là où il était passé.



Jiu avait couru aussi vite qu'il avait pû en dépit de son état, il n'était pas arrivé à temps pour attaquer le clone de Kenka et l'avait vu, impuissant, souffler sa technique sur Yume, qui avait pratiquement atteint leur objectif, puis la frapper avec ce sourire de joie ignoble.
Il ne comprit pas lorsque le corps du clone se convulsa dans les airs et qu'il se laissa retomber, et ne perdit pas de temps à se poser la question : Yume aussi chutait et semblait incapable de bouger. Il s'élança, tendit les bras en avant et enfouit ses mains dans l'épais tissu noir qui enveloppait entièrement son équipière, la rattrapant en plein vol. Il atterrit sur l'espèce de plate-forme rocheuse qui s'était formée après que le clone ait lancé son dernier dôton et s'y accroupit pour déposer la petite kunoichi à terre. Il plongea ensuite sa main dans l'une des poches de son short et en sortit une sorte de pilule de couleur bleue, flanquée d'un triangle entouré d'un cercle ; d'un geste sûr, il glissa sa main sous la nuque de Yume et la souleva légèrement, de façon à incliner sa tête en arrière afin qu'elle avale plus facilement la pilule qu'il inséra entre ses lèvres entrouvertes. Il entendit des sifflements menaçants alors qu'il lui fermait la bouche, et s'écarta juste à temps pour ne pas être mordu par le serpent qui s'était extrait des vêtements de son équipières. Il recula prudemment, mais le reptile ne semblait pas vouloir quitter le corps de sa maîtresse.

"T'en fais pas, dit-il, C'est juste un truc pour qu'elle sente pas la douleur. Made in Akino, alors en se réveillant elle aura pas mal du tout. J'ai pas pû voir si elle était vraiment blessée ou pas, mais la ghetta c'est douloureux, alors..."

Il se tut, ses yeux plantés dans ceux du serpent. Ce dernier finit retourner à sa place, ce qui soulagea un peu Jiu. Yumi s'agita dans son dos.

"Je sais, y'a des cris depuis quelques minutes, ça doit s'agiter là-bas. On ira voir quand elle sera réveillée."

Le jeune Akino estimait plus prudent de ne pas essayer de porter la petite kunoichi : il n'était pas sûr d'avoir de quoi contrer le venin de ses vipères sur lui.

Lorsqu'elle reprit conscience, les paupières de Yume avaient été collées par les larmes qu'elle avait plus ou moins retenues en encaissant le coup de pied de Kenka. Il lui fallut plusieurs tentatives pour parvenir à entrouvrir les yeux. Elle poussa un gémissement en encaissant la lumière du soleil de fin de matinée, et tourna la tête.
Elle ne sentit rien, ni le sable qui voletait dans l'air, ni le frottement de son chèche contre sa peau, ni les écailles de ses amis, ni même le contact du sol. Absolument rien. Tout son corps était engourdi, et elle avait la désagréable impression d'être emprisonnée dans de la gelée.
Elle aspira une goulée d'air, leva le bras. Elle ne sentait rien. Ni ses muscles qui se contractaient sous l'effort, ni son sang qui pulsait, ni les battements de son coeur. Absolument rien.
Ni dehors, ni dedans.

***

Rien sentir. Les yeux vissés au plafond, peuvent pas tourner, bloqués par les aiguilles. Elle veut bouger, elle essaie de bouger, de se débattre, quelque chose. Et rien, rien, rien. Elle ne sent rien. Peut même pas savoir si elle a bougé ou pas. Et puis la voix du vieux dans ses oreilles.
"On se réveille, numéro six ?"
Un rire aigre. Et elle ne sent rien, même pas le frisson qui la parcourt toujours quand il parle. Il retire les aiguilles de ses yeux, se penche encore vers elle.
"Tu veux voir, n'est-ce pas ? Savoir ce que je fais de ton petit corps de misérable femelle ?"



Brutalement, elle reprit sa respiration, qu'elle avait bloquée sans s'en rendre compte pendant quelques secondes, haleta et hoqueta, battit l'air de ses bras. Elle se redressa d'un coup sec, oubliant sa côte cassée, et aggrippa le bas de sa tunique.

***

Il relève sa tête, et elle voit.
Elle voit tout. Il énumère, lui donne le nom de chacun des organes posé sur la faïence blanche. Estomac, poumons, foie, intestins, vessie, uterus... Tout est là, bien en ordre, classé par taille, par couleur ou selon le critère que le vieux a pu choisir, étalé sur la table autour de sa cage thoracique ouverte, de son ventre vide, la peau soigneusement étirée, piquée de petites aiguilles à dissection à chaque coin.
"Sois bien sage surtout, numero six, et arrête de bouger, parce que plus tu bougeras, plus tu perdras de sang."
Il rit. Elle regarde le contenu de son corps évidé qui l'entoure.
Elle voit, elle voit tout, et elle ne sent toujours rien.

***

Elle tira sur le vêtement, manquant de le déchirer, tâta nerveusement la peau pâle couverte de vieilles cicatrices glanées au fil des opérations, palpa, à la recherche des précieux morceaux de chair, mais elle ne sentait rien du tout. Elle voyait la peau, sa main dessus, qui s'agitait de plus en plus convulsivement, griffait, jusqu'au sang, et ne sentait rien. Rien du tout.

Jiu fut d'abord soulagé que son équipière ne mette pas longtemps à recouvrer ses esprits : attendre ici pendant une durée indéterminée ne l'enchantait guère, d'autant plus qu'il percevait assez nettement le chakra de plusieurs individus dans les alentours, et il brûlait de savoir ce qui était en train de se passer - il était prêt à parier que Kenka faisait encore des siennes. Cependant, dès que Yume ouvrit les yeux, le jeune homme vit que quelque chose clochait. Il voulut lui dire qu'à défaut de la soigner, il lui avait donné un médicament, il resta quelques secondes à hésiter lorsque la petite kunoichi commença à se tâter d'un air paniqué.

"Euh, Yume ? l'appela-t-il, la tête légèrement penchée en avant, Comment tu te sens ?"

Il marqua une pause, puis reprit d'une voix un tout petit peu agacée :

"J't'ai fait prendre un truc de ma fabrication - me demande pas ce qu'il y a dedans, trop compliqué pour toi. Bref, normalement c'est censé t'engourdir un peu pour t'aider à supporter la douleur, et c'est très bien dosé, alors fais pas comme si tu subissais des effets secondaires."

Il avait sans doute été un peu brusque, mais il s'agissait pour lui d'un sujet délicat, et bien qu'il ne se l'avouât pas, le comportement de Yume était plutôt inquiétant.

La voix de Jiu ramena l'angoisse de Yume à un niveau plus tolérable, et elle parcourut la plate-forme sur laquelle ils étaient tous les deux du regard. Pas de sang, pas de boyaux traînant sur la roche noire. Et puis, Jiu ne lui mentirait pas, si ? Il n'avait pas vraiment besoin de le faire, dans une telle situation. Elle appella doucement.
"Kowai ? Sakyuu ?
Les reptiles sifflèrent de concert et sortirent de ses vêtements, la tête de Kowai posée contre sa joue, celle de Sakyuu sur son nombril. Elle caressa lentement cette dernière, tentant de percevoir au moins le bruit de sa peau glissant sur les écailles. Les serpents poursuivirent leur dialogue de sifflements, inquietés par la crise de la petite kunoïchi, jusqu'à ce qu'elle remette en place sa tunique, et se tourne vers Jiu. Un moment, elle envisagea de lui expliquer le pourquoi du comment, puis elle secoua la tête.
Trop compliqué pour lui. Trop mauvais, aussi.

Elle agita sa main, grimaça.
"Sssss. Plus rien, plus rien du tout, qu'elle sent, Yume."
Elle tenta de se remettre debout, puis se souvint de sa côte brisée. Elle se rassit et interrogea son équipier.
"Côte cassée, qu'elle a. Tkk. Jiu va bien ?"
Elle pointa l'estomac du jeune Akino.
"Kenka lui a donné un coup, aussi ! Ghe-tta."
Puis elle se gratta la joue et fit une moue perplexe.
"Quoi qu'on fait, maintenant ?"

Le jeune Akino poussa un léger soupir. Bon, à la limite, peut-être la dose était-elle trop forte pour Yume, elle semblait être de constitution plutôt fragile, après tout. Enfin, avec une seule côte de cassée, elle s'en tirait plutôt à bon compte, ç'aurait pû être pire...

"Si ça te gêne pas pour bouger, on s'occupera de ça après, lui répondit-il, De toute façon, j'connais aucune technique de soins, alors à part te bander l'abdomen..."

Il se relava et porta une main à son estomac. Il n'y avait pas prêté attention jusqu'à présent, mais ce point de son corps était effectivement douloureux.

"Moi ça va, il a frappé fort mais j'suis plus solide que toi. On ferait mieux d'y aller. On a atteint le pic, après tout, non ?"





Pendant que les deux enfants étaient aux prises avec le clone de Kenka, l'original, lui, n'était pas moins occupé qu'eux. Quelques minutes après s'être dissimulés parmi les rochers - ce n'était pas par lâcheté qu'ils voulaient les surprendre, ni même pour profiter de l'effet de surprise pour prendre avantage sur eux, non : Kenka et Hibachi craignaient bêtement que les brigands ne changent d'itinéraire en les apercevant de loin, parce que la perspective de leur courir après dans le désert ne réjouissait ni l'un ni l'autre - les hommes repérés plus tôt étaient arrivés, une quinzaine au moins, portant tous des armes sur eux. Vive comme l'éclair, Hibachi avait surgi semblait-il de nulle part, arrachant d'un coup sec la tête de l'inconnu le plus proche et défonçant la cage thoracique de celui situé juste à côté. Kenka et Araki étaient intervenus à leur tour, l'un plus réservé que l'autre et se contentant d'abord d'armes de jet, qu'il abandonna cependant bien vite au profit d'origami en forme d'oiseaux, apparus après qu'Araki ait déscellé un rouleau, confectionnés à partir d'une sorte de feuille métallique, transformant ainsi les simples animaux pliés en shuriken améliorés et contrôlables à distance. De son côté, Kenka avait foncé comme d'habitude et tué rapidements ce qui étaient de simples brigands, de quelques coups chargés en chakra et assenés précisément - il n'en avait pas toujours l'air, mais le jônin ne se battait pas en se contentant de rouer de coups simples ses adversaires.
Le groupe n'était toutefois pas composé de simples mercenaires : il fallait compter quelques ninja dans le lot.

"On va peut-être être débordés," sourit Kenka en voyant que ses adversaires du moment réussissaient à éviter ses attaques.

Il y avait là trois hommes : deux d'entre eux étaient visiblement des mercenaires connaissant tout juste les bases de contrôlement du chakra ; l'un était armé d'une lourde hache au manche richement décoré, l'autre de deux sabres aux ornements semblables ; ils devaient avoir plus d'une trentaine d'années et étaient tous les deux vêtus de la même façon : des sandales ninja, un pantalon noir ample serré aux chevilles, une ceinture rouge autour de la taille, d'épaisses cape brunes enroulées autour de leurs torses et des bracelets de cuir aux poignets ; le même air réjoui se lisait sur leurs visages. Le troisième homme semblait plus calme que ses compagnons : son regard froid hérissa Kenka lorsqu'il posa ses yeux pâles, comme recouverts d'un voile opaque, sur lui. La moitié droite de son crâne était rasée et laissait voir un tatouage, un triangle dans un cercle, pointant vers le bas ; ce qui lui restait de cheveux était rassemblé en une maigre queue de cheval, que le vent faisait onduler entre ses omoplates comme un serpent noir ; il était entièrement enveloppé dans la même espèce de cape que portaient les deux autres hommes - comme tout le reste de leur groupe en fait, ils venaient sans doute de loin ; un pendentif métallique reposait sur sa poitrine : la même marque qui ornait son crâne.
Celui-ci était un ninja.

"Vous êtes bien imprudents de vous attaquer à nous comme ça, lui dit cet homme sans que son visage change d'expression, Sans rien connaître de nos capacités.
- Surprend-moi," fit Kenka, ses muscles bandés à l'extrême.

L'autre cilla.

"Je n'aurai pas à me donner cette peine."





Jiu et Yume étaient partis très vite. Ils furent bientôt assez proche de leur point de départ pour percevoir le cliquetis métallique des armes qui s'entrechoquaient. Faisant signe à son équipière de la suivre, le jeune Akino ralentit l'allure et se mit à progresser prudemment derrière les rochers ; le terrain redevenait plat et sableux, il était plus facile de s'y déplacer.

Yume avait suivi tant bien que mal Jiu jusqu'à la lisière des rochers. Elle ne sentait rien, mais son épuisement et sa côte cassée perturbaient ses mouvements ; elle titubait plus qu'elle ne marchait et elle avait trébuché à plusieurs reprises, manquant de heurter le sol. Ses bras aussi commençaient à échapper à sa volonté ; ils se balançaient à contretemps, heurtant ses flancs avec des bruits doux de tissu froissé, la déséquilibrant aux moments où elle s'y attendait le moins. Progresser sur la roche noire n'avait pas exactement été facile au début de l'exercice, mais son malaise du début lui paraissait bien insignifiant comparé à la peine qu'elle avait à éviter de basculer dans le vide.
Heureusement, elle parvenait toujours à avancer, même si des taches noires entravaient sa vue, même si le sol se mettait à tanguer sous ses pieds. Elle n'aurait pas aimé que Jiu la juge trop faible, incapable de supporter une blessure ; Jiu n'était pas le genre de personne à s'encombrer d'égoïstes ne sachant pas gérer leur fatigue. Elle ne sentait rien, après tout. Quand elle vit son équipier ralentir, elle se laissa doucement tomber à terre, replia ses jambes contre elle et rampa à demi jusqu'à pouvoir s'adosser à la paroi la plus proche.
Les bruits métalliques qui lui parvenaient ne lui inspirait guère confiance ; dans son état, elle ne serait pas bonne à grand chose. Il vallait mieux qu'elle reste là et se repose.

Elle extirpa lentement Kekkai de ses vêtements, serra ses poings le long de l'anneau de métal et dosa son chakra le plus finement possible. Quelques minutes de sommeil lui rendraient assez de forces pour marcher correctement à nouveau. Elle prit une profonde inspiration, détendit au maximum les muscles de son abdomen et murmura
"Ninpô, la toile qui emprisonne les rêves, Kekkai."