Devant les portes, à l'extérieur de Suna

Devant le soleil couchant, les portes du village caché du sable semblaient rougeoyer. Elles ne resteraient plus très longtemps ouvertes - simple mesure de protection, après tout suna n'était pas un village des plus pacifiques - une heure, deux tout au plus. La température commençait à baisser avec le jour, et les dunes projetaient d'immenses ombres aux formes étranges.

Une petite forme noire sauta du toit du bâtiment le plus proche de la porte, plia les genoux quand ses bottes s'enfoncèrent dans le sable, puis bondit et reprit sa marche vers les portes. Elle avançait en zigzag, agitant les bras et protestant contre nul ne savait qui, puisqu'hormis les gardes, auxquels visiblement elle ne s'adressait pas, elle était seule devant les portes.
"Hyaaaaï, Kowai, pas mordre... Mal, mal, ça fait, hn, mal, hioo..."
Un spectateur non averti n'aurait pas pu s'en rendre compte, mais Yume parlait à l'un de ses serpents, qu'elle avait glissés dans ses vêtements et son sac avant de sortir. Les ninja qui l'avaient accueillie dans ce village lui avaient sauvé la vie, et s'étaient montrés plutôt patients et gentils, mais elle ne se sentait à peu près tranquille que lorsqu'elle sentait glisser contre sa peau les écailles rugueuses de ses familiers. Eux ne l'avaient jamais prise par surprise, et ne la trahiraient pas. Avec les humains, on n'était jamais sûr.
Elle passa les portes en se tenant à distance des gardes et s'avança parmi les dunes. Un sourire s'étala sur son visage enfantin, mais personne n'aurait pu le voir à cause de son foulard, qu'elle avait ramené devant sa bouche. Le vent soufflait toujours un peu, dans le désert. Elle continua de marcher jusqu'à être hors de vue des gardes, et se laissa tomber dans le sable.
"Iii-cho... Honoo, Kowai, Yume elle y est, dans le sable... Tchhh..."
Elle tendit la main et l'enfonça dans le sable, laissant l'un de ses précieux reptiles se faufiler dans sa manche pour ramper sur le sol.

Le jour déclinait de plus en plus rapidement, étirant l'ombre des dunes qui venait toucher le mur d'enceinte. Le vent commença à se lever, les grains de sable se faisaient plus nombreux à tourbillonner dans l'air, obligeant les gardes à remonter leurs masques sur leurs visages et à plisser les yeux - ils étaient pourtant habitués à ces conditions, et nul n'aurait sû mieux discerner quoi que se soit dans la lumière décroissante du crépuscule.

Les bâtiments les plus proches étaient plus petits que le mur d'enceinte, et ne permettaient pas à Jiu d'admirer le désert comme il l'aurait voulu ; c'était assez dommage, il avait toujours trouvé plus confortable de s'installer sur un toit, et Yumi aussi : elle pouvait se faufiler tranquillement hors de son vêtement et se dégourdir les pattes à côté de lui, tandis que sur le mur d'enceinte... bien que les gardes fassent semblant de l'ignorer, Jiu ne supportait pas les coups d'oeil intrigués qu'ils leur jetaient parfois. Son pauvre scorpion devrait rester caché.
Le jeune Akino, sautant de maison en maison, rejoignit le chemin de ronde d'un bond silencieux. Un chûnin équipé de jumelles le détailla rapidement quand il passa près de lui, mais ne lui dit rien : cette partie du mur était autorisée aux ninja de tout niveau, du moins à cette heure.
Jiu gagna une tourelle située non loin des portes du village : là aussi, un ninja scrutait l'horizon d'un oeil attentif. Le jeune garçon s'accroupit à l'angle qu'elle faisait avec le rempart, échappant ainsi partiellement à la vue du premier garde. De là où il était, Yumi pouvait s'exposer sans crainte à l'air libre. Le scorpion fit claquer doucement l'une de ses pinces vers le visage de son maître, puis vint se blottir sur ses genoux : seul Jiu trouvait cela attendrissant. Une main posée sur la carapace de sa compagne, il laissa ses yeux suivre le mouvement ondulant des dunes devant lui. Le sable reflétait, à cette heure, les couleurs enflammées du ciel, comme le somptueux pelage d'un chat paressant au soleil ; le désert respirait.
Soudain, Jiu avisa une petite tache noire qui se déplaçait d'une étrange façon, proche du portail d'entrée. La silhouette agitait ses bras, puis s'immobilisait tout d'un coup, comme captivée par le spectacle de la nuit tombante. Les gardes paraissaient ne pas faire attention à elle, cette personne devait venir du village... Jiu haussa les épaules. Il s'en moquait.

Un long moment s'écoula, le jour finit par complètement s'éteindre à l'ouest. Le vent s'était fait plus insistant, plus froid aussi, et le jeune garçon se leva en étirant ses membres raidis. Yumi regagna sa place habituelle, et tous deux descendirent de leur observatoire pour regagner la terre ferme. Se faisant, les pas du jeune Akino le guidèrent près des portes, que les gardes se préparaient visiblement à refermer pour la nuit.

"Tiens, et la silhouette de tout à l'heure? pensa-t-il, J'me demande si elle est rentrée..."

Yume releva le nez vers le ciel. La nuit était complètement tombée, à présent. Elle s'accroupit lentement, et saisit Honoo par la queue. Elle glissa son compagnon entre ses vêtements, sans réagir à sa morsure rageuse - elle était immunisée contre son venin, et ses crocs enfoncés dans sa chair ne lui faisaient pas assez mal pour qu'elle éprouve une quelconque rancune à l'égard du reptile. D'ailleurs, elle comprenait qu'il ait envie de rester dehors. Il s'agissait de son habitat naturel, après tout, et elle-même serait bien restée blottie sous une dune, mais les gardes se fâcheraient sûrement de la voir traîner dehors pendant toute la nuit. Un shinobi avait besoin de dormir, qu'ils disaient.
"Psss... Jaloux, ils sont. I-meee..."
Elle sautilla le long des dunes jusqu'à la porte, qu'elle franchit sous les regards ennuyés des gardes. Elle revenait toujours au dernier moment, et était persuadée qu'ils espéraient toujours qu'elle n'arrive pas à temps, pour pouvoir l'enfermer dehors. Elle trouvait étrangement paradoxale cette terreur qu'éprouvaient les hommes à l'idée de la vie sauvage, hors des murs de leurs cités monstrueuses, de leurs murs jaillis du sable du désert de Kaze no kuni comme autant de barreaux à ces cages que les humains se construisaient eux-mêmes. Leur besoin d'emprisonner tout ce qui vivait n'épargnait personne, pas même leurs semblables. Du cannibalisme symbolique, par maisons interposées, rien de plus.
Elle grimaça à cette idée. Elle préférait encore les moeurs ophidiennes ; au moins savait-on à quoi s'attendre en voyant arriver un congénère plus gros et plus fort.

Kowai siffla - un son bref, inaudible pour les gardes, dans lequel Yume reconnut un avertissement.
Odeur inconnue.
Elle tourna la tête et découvrit la source de l'inquiétude de Kowai : un garçon, pas vraiment grand - à peine une tête de plus qu'elle ! - aux longs cheveux blond paille, couverts d'un amas informe de tissu noir, portant une sorte de tunique bleu pâle, aux manches longues, mais pas vraiment amples - du moins pas selon les critères de Yume... Ainsi que le bandeau frontal à motif de sablier, prouvant son appartenance au village caché du sable. Un ninja, donc. Elle le détailla attentivement pendant plusieurs secondes, puis haussa les épaules - les lunettes de soleil qu'il portait l'empêcher de déterminer précisément son expression - et s'éloigna d'un pas, prenant garde de ne pas lui tourner le dos.
"Tchh... Pas peur, il faut avoir, Kowai... Un ninja, c'est un ninja, hioshhh..."

Jiu l'avait vue venir de loin, cette gamine au comportement étrange - enfin, il supposait qu'il s'agissait bien d'une fille, à en juger par la petite voix chuchotante qu'il perçut en s'approchant d'elle. Elle donnait l'impression de parler toute seule, mais Jiu y était suffisamment habitué pour reconnaître ces légères inclinaisons de la tête, pour glisser quelques mots discrets à quelque chose que personne ne devait voir.
Mais il se faisait peut-être des idées.
Le jeune garçon sentit soudain une pression au niveau de ses omoplates.

"Pourquoi tu m'pinces, Yumi ?" murmura-t-il rapidement.

Pour toute réponse, la pression s'accentua. Jiu soupira. En face de lui, la gamine s'éloignait bizarrement, sans se retourner... comme si elle craignait de s'exposer à un quelconque danger en le laissant passer derrière elle.

"J'peux savoir c'que c'est, cette attitude ? l'appela-t-il d'une voix ennuyée. Ceux qui lui témoignaient de la méfiance l'agaçaient, T'as peur ou quoi ?"

Il fit un pas dans sa direction, bien que sur son dos, il ressentit l'inquiétude de Yumi.

Yume fronça les sourcils, et reporta son attention sur le garçon. Elle trouvait tous les hommes effrayants, par principe, mais celui-là lui donnait plus de raison de le craindre que la moyenne. Ses vêtements bougeaient, et quoiqu'il put y avoir à l'intérieur, s'il le cachait, ce n'était sûrement pas sans raison. Et puis, ces lunettes la mettaient mal à l'aise. Les yeux sont le miroirs de l'âme, qu'ils disaient. Si celui-là se donnait la peine de les cacher, c'est qu'un partie au moins de son esprit n'était guère reluisante - et surtout qu'il en était conscient, et l'assumait.
Elle ne cria pas, pour ne pas énerver Sakyuu, qui n'appréciait pas le bruit inutile.
"Peur, elle a Yume ? Tchh. Bien sûr, qu'elle a, oui. Lunettes - les yeux sont le miroir de l'âme - Yume elle a peur ; si on cache des choses, alors c'est normal que Yume ait peur. I-cho. Les hommes, effrayants, hiaii, monstres, des monstres, qu'ils sont."
Sa phrase fut ponctuée d'un sifflement plus long - Sakyuu n'aimait guère rester longtemps en présence d'humains autres que Yume.
La genin secoua la tête. Le garçon en lui-même n'aurait pas mis ses compagnons dans un tel état de nervosité, du moins pas si rapidement. Il devait donc y avoir autre chose. La même chose qui faisait bouger ses vêtements, sans doute...
Là, encore. Dans son dos, sa veste s'agitait - oh, c'était léger, et Yume n'y aurait pas prêté tant d'attention si ses amis ne l'avaient pas avertie.
Elle glissa lentement une main dans son sac, effleura du bout des doigts les écailles lisses de Honoo. Ce contact, qui aurait fait hurler de dégoût nombre de femelles humaines, la rassurait. Elle aimait se dire que Honoo, Kowai et Sakyuu la protégeaient. D'une certaine manière, d'ailleurs, il le faisaient : c'était dans leur intéret. Elle les nourrissait, et leur assurait l'impunité parmi ces dangereux prédateurs qu'étaient les humains.
Elle dirigea son regard vers l'endroit où elle supposait qu'était celui du garçon.
"Peur, elle a, Yume, hisss, oui, peur de la chose qui se cache et qui fait bouger les vêtements."

Jiu eut un reniflement méprisant. Cette gamine était vraiment agaçante, que ça soit ses propos ou sa façon de s'exprimer. Attend un peu, elle l'avait traité de monstre, non?

"Le miroir de l'âme, hein? ricana-t-il en s'approchant encore, Et tu crois vraiment que les gens ne sont pas capables d'influer sur leur propre regard, qu'ils ne savent pas tromper sur leurs intentions?"

Il s'arrêta à trois pas de la fille. Sous sa tunique, Yumi avait cessé de gigoter - l'autre l'avait vue! - mais elle n'en cessait pas moins de lui transmettre son appréhension. Ce n'était pas de la peur, juste une sorte d'avertissement : il y avait quelque chose de pas normal avec cette gosse.
Le jeune Akino ne partageait pas l'inquiétude de sa compagne : c'était plutôt lui qui suscitait de la crainte chez l'autre, après tout.
Il désigna la gamine du menton, reprenant sur le même ton :

"T'es ninja, non? Qu'est-ce que t'aurais à craindre, hein?"

Yume écouta l'autre objecter, et reconnut sans peine le mépris contenu dans ses critiques. Elle savait que les hommes se croyaient toujours les plus intelligents, et tenaient à le faire ressentir à leur entourage, mais ne supportait guère ce genre de ton. Le mépris des hommes, elle connaissait, elle savait sur quoi il se basait, et jusqu'où il pouvait mener. L'orgueil, le refus de ce qui était différent, de tout ce qui était vrai, dénué de cette épaisse toile de mensonges qu'ils tissaient autour d'eux, jusqu'à y croire eux-même. Elle ne serait plus prisonnière, elle n'en doutait pas : elle se l'était juré, et elle savait sa détermination suffisemment forte pour tenir un tel serment. Malgré cette certitude, la voix de ce garçon éveillait en elle de nombreux souvenirs, trop récents pour que la douleur ait pu s'atténuer.
Ses doigts glissèrent sur la peau fraiche de Honoo, remontèrent jusqu'à trouver la tête du reptile, qui referma lentement ses mâchoires sur sa main. Honoo ne chercha pas à se servir de ses crochets. Elle n'était pas agressive, pas en colère après Yume, elle percevait son appréhension, et réagissait en conséquence. Yume agita les doigts dans la gueule du serpent, sentit avec soulagement l'animal raffermir sa prise. Après quelques secondes, elle s'était presque complètement calmée, et Honoo la lâcha.
Elle plissa les yeux, et secoua la tête par saccades. Elle ne tenait pas spécialement à convaincre son vis-à-vis, mais comme l'enfant qu'elle était encore à moitié, Yume considérait la vérité comme unique et absolue. Et en tant que telle, la vérité devait toujours être maintenue, sans céder devant les choses fausses que disaient les autres - qu'ils mentent ou se trompent.
Elle déclara, le plus calmement du monde.
"Mentir avec les mots, facile, iksss, un jeu d'enfant, que c'est. Mais les yeux, les yeux, les yeux, peuvent pas mentir, ils parlent pas."
Elle tendit un bras vers le garçon, pointa son visage.
"Né ici, dans le désert. Ish-ka. Pas besoin de lunettes pour voir. Pourquoi faire, les lunettes, si les yeux mentent ?"
Puis elle s'accroupit, et répondit à la première question.
"Genin, Yume elle est. I-icho."
Elle baissa lentement le foulard qui lui recouvrait la bouche, et ajouta, avec une mimique oscillant entre la surprise et l'incrédulité.
"Et bête, vraiment bête, il faut être, pour croire que parce qu'on se sent fort, personne peut nous bouffer."

Jiu allait répliquer quelque chose, comme quoi c'était plutôt elle qui avait l'air stupide, à parler comme si elle était encore en couche, mais la soudaine apparition d'une troisième personne juste à côté d'eux le prit de court. Jiu ne l'avait pas du tout senti arriver, et il eut le réflexe de s'éloigner d'un bond et de se mettre en garde, main crispée au-dessus de sa sacoche à kunaï. Celui qui se tenait désormais près d'eux était un homme, un jônin à en juger par son arrivée, qui avait peut-être trente ans, peut-être moins si on prenait en considération le fait que les ninja vieillissent plus vite que les individus normaux. Il dévisageait les deux enfants d'un air peu engageant ; il avait un visage dur, une forte mâchoire ; son teint était plus mat que celui du jeune Akino et l'on pouvait voir une fine cicatrice blanche, qui tranchait avec la couleur de sa peau, marquer sa pommette droite ; un foulard couleur sable à motifs noirs entourait toute la partie supérieure de son crâne, et seules en émergeaient quelques mèches épaisses, violettes et sombres, qui tombaient sur la partie gauche de son visage, dissimulant parfois ainsi un oeil d'un noir profond. Les pans de son foulard traînaient jusqu'au milieu du dos de sa veste, celle-la même que portaient les ninja ayant accédé à un certain niveau. Aucun vêtement ne recouvrait le torse de cet homme hormis cet uniforme. Il avait enfilé un pantalon de la même couleur que le tissu noué sur sa tête, et accroché son bandeau de shinobi de Suna à la ceinture. Il chaussait, pour finir, des ghettas relativement usées.
Ghettas dont, justement, une venait de filer droit dans l'estomac de Jiu, qui fut projeté contre le mur de la maison la plus proche. Le jeune garçon tomba à terre en toussant, un goût de bile au fond de la gorge.


"Tsssch, fit l'homme en reposant son pied sur le sol, C'est comme ça qu'tu salues tes supérieurs, avorton ?"

Il émit un sifflement qui en disait long sur ce qu'il pensait du genin.

"J'te jure, me refiler des minables pareils ! marmonna-t-il.
- Vous êtes qui, vous ?! demanda Jiu qui venait de se redresser en s'essuyant la bouche du revers de la main.
- Mais quel sale mioche ! Est-ce que j'viens pas de te dire que c'était pas une façon de se comporter avec ses aînés, ça ? soupira l'homme, Enfin, on s'en fout..."

Il mit ses mains dans ses poches de pantalon et pencha légèrement la tête sur le côté.

"Toi c'est Akino, c'est ça ? Et la gamine..."

Il se tourna vers la fille.

"C'est Yume, c'est ça ?"

Puis il se redressa fièrement et déclara d'une voix solennellement fatiguée :

"Moi, c'est Jagaajaku Kenka, et 'paraît que désormais, vous êtes mes élèves."

Il laissa passer un court silence.

"Bon, bah allez-y, vous gênez pas pour les manifestations enthousiastes."

Yume se releva lentement, observant en silence l'homme qui venait de se proclamer son professeur.
On lui avait rapidement expliqué le système des équipes de genin, sans toutefois lui dire quand on l'enverrait à son propre sensei... Finalement, c'était donc le professeur qui venait à eux. Assez étrange, comme protocole, même si au vu de l'attitude de l'homme, le protocole devait être le cadet de ses souçis. Envoyer un coup de pied à son élève était également quelque peu méprisable, de la part d'un vétéran jounin. Elle s'abstint néanmoins de faire ce commentaire à voix haute. Elle n'était pas idiote, contrairement à ce que pensaient les gens, et évitait comme la peste les combats lorsqu'elle savait qu'elle allait les perdre. Elle observa son nouveau professeur, tapotant nerveusement contre la peau de Honoo.
Kowai siffla. Sakyuu lui répondit, et tout deux mordirent Yume, pas très fort, juste assez pour bien lui faire comprendre qu'ils percevaient eux aussi le danger.
Néanmoins, la fuite n'était pas une option envisageable. Si cet homme avait été désigné pour être son professeur, il lui faudrait se confronter à lui tôt ou tard, à supposer qu'elle parvienne à lui échapper, ce qui paraissait hautement improbable, compte tenu du peu de scrupules qu'il avait eu à frapper le garçon... Akino ?
Elle demeura donc immobile, tentant de tranquilliser ses serpents, qui s'inquiétaient autant de la présence du professeur que de sa propre nervosité. Elle réfléchit un moment à ce qu'elle pouvait dire sans risquer de tâter des getas de son nouveau sensei - feindre l'enthousiasme réclamé ne lui vint même pas à l'esprit, d'abord parce qu'elle ne mentait pas, et ensuite parce qu'elle n'approuvait pas qu'on frappe un genin incapable de se défendre.
Elle se contenta donc de hocher la tête et de le saluer.
"Bon-soir. Hn."

Kenka fronça les sourcils.

"Bonsoir, c'est tout ? grogna-t-il, On dit "Bonsoir monsieur le professeur" ou bien "Bonsoir Kenka-senseï", mais pas un mot comp'ètement mâchonné !"

Jiu restait à distance respectable : il n'appréciait pas particulièrement l'entrée en matière de celui qui venait de se proclamer leur professeur. "Leur" professeur? Il ne connaissait même pas cette fille, cette... comment l'autre avait-il dit qu'elle s'appelait, déjà? Yume? Au moins ce serait facile à retenir, c'était toujours ça de pris...
Le jônin paraissait attendre quelque chose de leur part - qu'on le rassure, cette histoire d'enthousiasme, c'était juste pour rire, n'est-ce pas? Il ne pensait tout de même pas vraiment qu'ils allaient lui sauter au cou, éperdus de reconnaissance? Et puis d'abord...

"Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? demanda le jeune Akino, modulant sa voix de façon à ce qu'elle ne passe pas pour irrespectueuse, Un prof ? "Nous" ? Comme ça ?
- Ca t'emmerde, demi-portion ?" voulut savoir Kenka, montrant les dents.

En un battement de cil, il fut sur Jiu, paume à plat contre le mur derrière lui. Il approcha son visage de celui du jeune homme, et les narines de celui-ci furent pleines de l'odeur de tabac froid qu'il dégageait.

"Ecoute bien, minus, conseilla Kenka, Que se soit ici ou ailleurs, quand on est ninja, on apprend à avoir un comportement adapté à la situation, ou alors on clamse bêtement. Toi, pour le moment, si on n'était pas tous les deux dans l'enceinte du village, j't'écrabouillerais certainement la gueule pour t'apprendre à m'parler comme il faut. Vu ?"

Jiu hocha la tête précipitamment. Les pinces de Yumi s'enfonçaient dans la chair de son dos, et il sentit un liquide chaud et poisseux lui couler le long du flanc ; ça plus la puanteur que dégageait le jônin, Jiu n'en menait pas large. Cependant, jamais il ne s'était senti aussi soulagé de porter ses épaisses lunettes, soustrayant son regard vaguement apeuré à celui qui se tenait beaucoup, beaucoup trop près.

"Bien. Ensuite, figure-toi que les ninja ont des obligations envers leur village. Si ce sont de bons ninja, on leur confiera d'importantes responsabilités, comme la formation des futurs éléments dudit village. C'est un honneur auquel chaque shinobi aspire..."

***Flash-back***

Une heure plus tôt...

"Vous... Eh, dis, t'es pas sérieux, quand même ? fit Kenka, pas rassuré.
- Navré que cela vous déplaise, Jagaajaku-san, lui répondit son interlocuteur, un homme, cheveux châtains mi-longs et ondulés, de taille moyenne, finement musclé et portant l'uniforme propre aux chûnin de Suna, Ceci est un ordre du Conseil.
- Quoi ?! Du Conseil lui-même ?! s'étrangla l'autre, Un truc aussi naze ?!
- Hum, ils en sont venus à évoquer le sujet des aspirants ninja n'ayant pour le moment reçu aucune formation au sein du village..., reprit le chûnin, ses yeux gris pigmentés de vert baissés sur le paquet de feuilles qu'il tenait entre ses mains, C'est un problème comme un autre, Jagaajaku-san.
- Okay, ils en ont parlé et c'est normal. Mais pourquoi c'est sur moi qu'ça tombe, hein ?
- Eh bien..."

L'autre homme leva son regard sur Kenka, l'air de réfléchir à quelque chose.

"Peut-être cette histoire de... si je dis "trouble sur la voie publique", cela vous évoque-t-il quelque chose, Jagaajaku-san ?
- Trouble...? répéta Kenka, fronçant les sourcils.
- Ivresse, coups et blessures, ce genre de joyeusetés...
- Mais ça remonte bien à deux semaines ! s'exclama le jônin.
- Il faut croire que votre soirée passée en cellule n'a pas suffi à vous faire expier votre crime, Jagaajaku-san, répliqua le préposé aux missions du même ton égal.
- ...
- ...
- Eh, Araki ?
- Oui ?
- Tu peux arrêter de m'appeler par mon nom s'il te plaît ?"

***Fin du flash-back***

"Un honneur", répéta Kenka, tentant vainement de s'en persuader.

La main de Yume se referma brutalement sur la tête de Honoo à la réponse de son professeur. Le serpent s'agita un peu, sans sortir ses crochets. Honoo avait mauvais caractère, mais avait visiblement compris que les chamailleries et petits coups de dents devaient être remis à plus tard. Yume grimaça. Elle allait sans aucun doute s'attirer des ennuis, avec un professeur pareil, on n'y pouvait plus rien. Elle ne mentait pas, ce n'était pas négociable, même à coups de ghettas.
"Kenka-seeeensei... Hi-yah. Mal, très mal, que ça lui va."
Elle secoua la tête.
Kowai et Sakyuu demeuraient parfaitement immobile, terrifiés par Kenka, ce qui n'était pas pour la réconforter. Seule Honoo osait encore bouger, et Yume sentait bien que Honoo aussi était effrayée. Elle replia son bras libre contre sa poitrine, enfonça sa main sous le chèche enroulé autour de sa tête et saisit la chaîne de Kekkai. Lentement, doucement, maillon par maillon, elle tira sur la chaîne pour faire remonter l'attrape-rêve. Elle gardait son regard fixé sur Kenka, presque hypnotisée par cette grande chose brutale et grossière, qui risquait à tout moment de l'assommer d'une main - ou d'un pied.
Elle détestait l'idée de voir l'une de ces grosses ghettas de bois s'enfoncer dans son estomac, mais le comportement de cet homme la rebutait. A tout prendre, elle se sentait plus proche d'Akino que de lui. Pas parce qu'Akino était plus faible, mais parce qu'au moins, il n'avait pas une grosse voix vulgaire, et ne semblait pas frapper à la moindre contrariété.
Elle plissa les yeux et ajouta, pour Akino cette fois.
"Miroir de l'âme. Peur, que t'as, et les lunettes, c'est pour le cacher. I-iish-ka. Et énervé, qu'il est, depuis avant, oh oui, avant de venir, i-iisk, même que ça le détend, détend, fait plaisir, de te frapper, de t'écraser."
Elle ponctua sa phrase d'un son proche du feulement, plus effrayé que rageur.
Elle serra son poing sur Kekkai, mais n'y concentra pas tout de suite le chakra nécessaire pour lancer sa technique - Kenka était jounin, il s'en rendrait compte. Elle se sentait un tout petit peu moins vulnérable, Kekkai dans une main et Honoo contre l'autre, mais gardait à l'esprit qu'il ne s'agissait que d'une impression. Elle restait sans défense devant cet homme, qui n'hésiterait pas à la brusquer pour la rendre docile pour faire lui seul savait quoi.
Elle pouvait refuser, maintenant. Ce n'était qu'une question de volonté, et de courage aussi. Même s'il lui prenait Kekkai, et même s'il lui prenait tout le reste avec, elle pourrait toujours avaler sa langue. Elle n'était pas prisonnière, ne le redeviendrait pas. Si ce qu'il comptait faire d'elle ne lui convenait pas, elle n'obéirait pas, c'était tout. Et ce n'était pas négociable.

Araki lui avait bien recommandé d'agir prudemment avec la gamine, évoquant ses difficultés à intérargir avec les autres humains - il savait de quoi il parlait, c'était son équipe qui l'avait trouvée dans le désert. Et magré son comportement des plus étranges et les choses répugnantes qu'elle cachait certainement dans ses vêtements, Kenka allait donc être gentil, il n'allait pas la frapper, ni l'insulter, ni... mais comment il était censé leur apprendre quoi que se soit à ces gosses, au fnal?! Il retint un long, profond soupir et s'écarta de Jiu, lequel resta raide, le dos au mur. Une tache de sang s'étendait lentement sur sa tunique, mais le jeune homme n'y prêtait pas la moindre attention, trop soulagé de pouvoir à nouveau respirer sans être incommodé. Il lâcha un "Tsssch" vexé quand Yume revint sur ses lunettes, et lui aurait très certainement lancé une remarque acerbe comme quoi se planquer derrière un paquet de chiffons, ce n'était pas la meilleur marque de sociabilité qu'on pouvait donner, mais son estomac était encore douloureux et il n'avait que très moyennement envie de servir à nouveau de ballon de football à son "professeur".
Lequel, pour l'heure, ne paraissait pas très sûr quant à ce qu'il convenait de faire avec des élèves. Remettant ses mains dans ses poches, Kenka leur annonça :

"Bon, ça y est, on a fait connaissance. J'vous veux tous les deux d'main à six heures près de l'aire d'entraînement n°6, on s'occupera avant qu'on nous file un truc plus intéressant à faire."

Comme aller tuer quelques ninja n'ayant rien à faire sur leur territoire, par exemple, ou bien des brigands, n'importe quoi capable de lui fournir un petit combat sympa, pensait le jônin, sans se douter qu'on ne leur confierait jamais de missions au-delà du rang C tant que ses "élèves" ne seraient pas devenus plus forts...
Leur ayant donné ses instructions, Kenka disparut, comme emporté par le vent qui soufflait de plus en plus fort, et les deux enfants se retrouvèrent seuls. La nuit tombait de plus en plus vite, et quelques rares lampadaires les éclairaient timidement de leur lumière tremblante. Jiu se mit à respirer plus librement, et permit à Yumi de se glisser hors de sa tunique pour se nicher dans ses bras. La plaie qu'elle avait ouverte dans son dos n'était pas profonde, mais il lui faudrait la nettoyer en rentrant, se dit-il en passant une main rassurante sur la carapace du scorpion, sans se soucier de l'autre gamine.

Yume cligna des yeux, surprise que l'homme ne la frappe pas pour ses commentaires. Elle l'écouta "conclure" leur rencontre, et ne trouva rien d'autre à faire que de hocher la tête pour marquer qu'elle avait entendu les consignes, et acceptait - puisque pour l'instant elles lui paraissaient raisonnables - de s'y plier.
Elle resta immobile quelques instants après le départ de Kenka, sa prise sur Kekkai et Honoo se relâchant progressivement, tandis qu'elle assimilait cette nouvelle information : Kenka pouvait se retenir de frapper, en tout cas pour des remarques sincères, et dépourvues d'aggressivité. Quand elle fut sûre qu'il était parti pour de bon, et ne reviendrait pas pour leur annoncer que finalement, il avait tout de même envie de leur rompre un ou deux os, elle se tourna vers son nouvel équipier.
Equipier. On lui avait expliqué le concept, mais avoir en face de soi l'incarnation de ce trésor tant vanté était une toute autre affaire. Elle observa de nouveau Akino, et tenta de plaquer sur ce visage ce qu'on lui avait dit des équipiers. Elle pouvait se fier à un équipier, lui parler d'elle ou des choses qui lui tenaient à coeur, lui confier ses faiblesses et le laisser la rassurer. Ces affirmations coincidaient mal avec le ton acerbe et l'ironie d'Akino. Elle effaça donc les quelques répliques échangées, et re-tenta l'expérience. Oui, c'était mieux. Akino semblait plus intelligent que fort, et cela convenait à Yume. Ses traits fins, délicats et encore assez proches de ceux qu'il avait dû avoir enfant lui plaisaient aussi, en tout cas plus que l'imposante carrure de Kenka. De ses remarques, elle ne retint qu'une chose : il parlait de façon claire, et conservait sa politesse, même lorsqu'il était agaçé. Encore un bon point.
Elle hocha lentement la tête. Elle aurait préféré une équipière, mais la proportion de kunoïchi parmi les ninja du village était faible, et à tout prendre, Akino n'était pas un si mauvais choix.

Elle cligna des yeux quand la chose-qui faisait-bouger-les vêtements-d'Akino se montra au grand jour - à la lueur des quelques lampadaires, en fait.
Une sorte d'insecte, mais beaucoup plus gros, noir, avec une longue queue et de grosses pinces... Sa carapace reflétait le peu de lumière présente. Yume sourit, et se dit qu'au soleil, cet individu - qui avait en une fraction de seconde gagné presque toute sa sympathie - devait être magnifique. Elle s'approcha de quelques pas, et demanda à Akino.
"C'est qui, le tout noir, tout brillant, tshhh ?"

Derrière ses lunettes, Jiu eut un regard étonné : d'ordinaire, ceux qui voyaient Yumi affichaient un air dégoûté, au mieux un peu gêné, mais c'était bien la première fois que quelqu'un souriait vraiment et s'approchait du scorpion sans la moindre appréhension. Un sentiment étrange lui serra le coeur un court instant, mélange de reconnaissance et de soulagement. Jiu ne chercha même pas à se moquer de Yume parce qu'elle n'avait pas été capable de reconnaître un scorpion et répondit d'une voix douce, comparée à la façon qu'il avait eu de parler jusqu'à présent.

"Yumi."

La queue de sa compagne se balança mollement quand elle entendit son nom, et elle fit claquer l'une de ses pinces.

"C'est un nom assez semblable au tien," ajouta-t-il machinalement, s'adressant pour la première fois à la jeune fille sans la moindre animosité.

Yume pencha la tête sur le côté et répéta.
"Yumi, Yumi,Yuuu-mi..."
Effectivement, son nom et celui de Tout-noir-tout-brillant se ressemblaient. Elle espérait néanmoins que Yumi avait reçu son nom dans d'autres circonstances qu'elle. Porter un nom choisi la première fois où quelqu'un avait daigné lui poser la question - soit à son arrivée à Suna - ne la dérangeait pas à proprement parler, mais elle trouvait triste l'idée qu'un animal si élégant dans sa carapace noire et luisante soit dans le même cas. Non, Yumi était trop belle, trop fascinante, avec ses fines pinces cliquetantes et sa délicate queue semblable à une chaîne de pierres ovales, pour que personne n'ait jamais souhaité la connaître, son nom devait plus probablement lui avoir été donné par Akino.
Le sourire de Yume se fit distrait, légèrement rêveur. Recevoir un nom, cela devait faire plaisir, du moins quand on appréciait la personne qui l'offrait - elle frémit et perdit net son sourire à l'idée de se faire appeler par un nom choisi par le vieux. Non, il ne fallait pas penser au vieux. Elle portait un nom qu'elle avait choisi seule, et qui lui rappelait sa décision, et l'aidait à ne pas céder face aux multiples obstacles que lui réservait la vie auprès d'autres humains.
Elle secoua vivement la tête. Elle était en train de digresser. Pour l'instant, il fallait saluer Yumi : elle commença à tendre une main vers l'adorable petite bête noire et s'arrêta brusquement.
Elle pencha derechef la tête, une grimace perplexe s'installa sur son visage, elle reporta son regard sur Akino et lui demanda.
"Il ou elle, que c'est, Yumi ?"

Jiu était partagé entre l'attendrissement et l'agacement : d'une part cette gamine prêtait à Yumi une attention comme personne n'avait daigné le faire jusqu'à présent, et sa compagne en paraissait ravie à en juger la manière dont elle faisait cliqueter ses pinces en direction de Yume ; d'un autre côté, cette équipière tombée du ciel se comportait comme une véritable gosse, incapable de former une phrase complète. Jiu laissa échapper une petite expiration sèche avant de lui répondre.

"C'est une femelle."

La tension que dégageait Yumi un peu plus tôt semblait avoir totalement disparu, ne persistait plus qu'une légère appréhension à chaque geste que tentait la petite fille dans sa direction, mais après tout le scorpion n'était pas habitué à un autre contact que le sien.
Il y avait également autre chose ; Jiu avait bien remarqué le manège de Yume, ce tic qu'elle avait de toujours plonger ses mains dans son sac.

"Tu caches quelque chose?" lui demanda-t-il un peu brusquement.

Yume hocha la tête.
Oui, une femelle, c'était logique. Yumi était trop jolie, semblait trop délicate pour être un mâle... Cela dit, Akino aussi était mince, avait les traits fins et des habitudes polies... L'influence de Yumi, sans doute. Yume sourit à l'animal, se pencha pour mettre son visage à sa hauteur et agita une main gantée.
"Bonjour, Yu-umi. Contente de te connaître, qu'elle est, Yume."
Puis elle rit, et imita le mouvement des pinces de Yumi en fredonnant.
"Clic, clac, la main dans le sac, clic, clac, clac, clic..."
Lentement, comme à contrecoeur, elle se redressa pour faire face à Akino. Elle fronça les sourcils, se répéta la question du garçon. Si elle cachait quelque chose ? Et bien, des armes, oui, comme n'importe quel shinobi... Des shuriken, des kunai, quelques notes explosives, des fumigènes... Et Kekkai et Dorobu, évidemment.
Kowai émit un sifflement strident, lui rappelant sa présence et son mécontentement : en temps normal, Yume serait déjà allée trouver un endroit où dormir... Ce qu'elle ne devrait plus guère tarder à faire, si elle voulait pouvoir se lever tôt le lendemain, pour arriver à l'heure au rendez-vous fixé par leur professeur... Tiens, elle pensait déjà "leur", et plus "son". L'étiquette "équipier" s'était collée assez facilement sur Akino, en fin de compte.
Elle s'assit dans le sable, glissa une main entre les pans de son chèche, qu'elle maintenait en place de l'autre, et fouilla un petit moment, pour finalement parvenir à tirer la tête de Kowai à l'air libre. Le serpent siffla, darda sa langue vers Akino et Yumi, mais Yume ne s'en formalisa pas : il était trop loin pour tenter une bêtise. Elle entama donc les présentations.
"Ksss... Kowai, il s'appelle. La viande rouge rouge rouge et les souris vivantes, sgrouiiiiiik, qu'il aime. Et dans le sable, il veut aller, alors Yume elle l'emmène, le soir, i-icho."
Sakyuu siffla à son tour, déconcertée par tant d'agitation. Yume pointa le bas de sa tunique, sous laquelle se tenait Sakyuu, enroulée autour de son ventre.
"Sakyuu, c'est, là. Les gens, ils l'énervent, l'énervent, oui, alors elle reste là, parce qu'elle entend moins le bruit. Plus grande que Kowai, elle est, aussi. Tsh."
Enfin, Yume lâcha Kowai pour ouvrir son sac, et en sortir la tête de Honoo, qui la mordit, pour de bon cette fois.
"Honoo, elle s'appelle. La plus grande, la plus forte, que c'est ! Mais elle est gentille, oui, gentille avec Yume..."
... dit-elle en agita sa main retenue dans la gueule du serpent.
"... Elle aime le poiiiisson tout cru, rose ou blanc, blanc-rose, comme Yume !"
Et elle accompagna cette dernière déclaration d'un sourire ravi, à l'idée de ce poisson cru dont elle raffolait.

Puis elle tourna la tête vers le ciel noir.
"Nuit, il fait. I-hiyaaaa, aller trouver un toit, Yume, elle doit, oui, fatigué, on est, ishhhh..."
Elle revint à Akino et son intéressante compagne.
"Bonne nuit, alors, pour Yumi et Akino."

Un sourire hésitant s'était dessiné sur les lèvres de Jiu alors que Yume avait salué Yumi, cette dernière répondant presque joyeusement. Le scorpion s'était pourtant blotti contre son jeune maître, lorsque la petite fille avait commencé à leur présenter ses serpents. Ce fut un choc pour Jiu.

"On est pareil, pensa-t-il, Nous aussi, on côtoie des créatures que les autre jugent répugnantes."

Il sentit aors qu'il pourrait faire confiance à cette gamine étrange, trop spontanée pour les autres.

"Enchanté", dit-il aux serpents, bien que ceux-ci paraissent hostiles, même à leur propre maîtresse. Il voulut lui demander si elle avait mal, mais comme Yume ne semblait pas se formaliser des morsures des reptiles, il n'en fit rien.
Lorsqu'elle lui souhaita une bonne nuit, il lui rendit son salut, puis la rappela alors qu'elle s'éloignait.

"Tu... peux m'appeler Jiu", lui lança-t-il en ôtant ses lunettes d'une main, vrillant ses yeux limpides dans les siens.

Yume continua à s'éloigner de son pas irrégulier, tantôt bondissant, tantôt traînant, toujours en zig-zag, en gardant la tête tournée vers Akino, jusqu'à la maison la plus proche. Là seulement elle se retourna complètement. Elle sourit de nouveau, et commenta.
"Bleus, tout bleus, ciel qui brûle, les yeux de Jiu."
Elle ponctua sa phrase d'un petit cri, de joie ou de simple étonnement devant une telle couleur, elle ne le savait pas elle-même. Puis elle saisit la tête de Kowai pour la renfourner sous son chèche, et ajouta à voix basse, sur un ton pensif.
"Yeux de serpent, oui, bleus, mais yeux de serpent. Ssssska..."

Elle se retourna, plia lentement les genoux, tendit les bras en l'air et sauta aussi haut qu'elle le pouvait - c'est-à-dire à un bon mètre au-dessus du sol. Ses mains et ses pieds se collèrent au mur avec un claquement. Elle laissa le poids de son sac entraîner son corps vers le bas, puis tira de toutes ses forces de ses bras, poussa de ses deux jambes, et bondit encore, pour atterrir sur le toit de la maison. Elle vacilla un peu, retrouva son équilibre en tendant les bras sur les côtés, et vit volte-face. Elle agita un bras en souriant de toutes ses dents crasseuses à son nouvel équipier.
"Bien dormir, bon soleil demain matin !"

Sur ce conseil, elle se détourna et partit pour de bon, sans penser une seconde que sa phrase paraîtrait certainement absurde et dépourvue de sens à Jiu. Le garçon ne pouvait pas deviner qu'un bon soleil était l'expression de Yume pour un réveil agréable, puisqu'elle était le plus souvent réveillée par les premiers rayons du soleil levant.